NEW PROVIDENCE ET PARADISE ISLAND: DE TOUTES LES COULEURS
L'île de New Providence et sa petite voisine, la chic Paradise Island, abritent les deux tiers des Bahamiens. Ici, le paysage est un mélange hétéroclite de boutiques de luxe et de restos populaires, de plages animées et d'anses sablonneuses peu fréquentées. Ces îles ont beaucoup plus à offrir que la seule capitale, Nassau, avec ses casinos et ses mégacomplexes hôteliers. La preuve... en couleur!
Or
Par endroits, le sable des plages est si fin qu'on croirait en effet de la poudre d'or. La côte nord de l'île est une enfilade de plages, certaines privées, d'autres publiques. Junkanoo Beach, à Nassau, attire ceux qui carburent au boom-boom musical, aux cocktails colorés et à la faune festive. À Love Beach, plus à l'ouest, il est possible de marcher de longues minutes sans rencontrer âme qui vive. Quelques résidants y promènent leurs chiens, des apnéistes viennent profiter des récifs. Mais il n'y a aucun vendeur pour offrir des piñas coladas ou vendre des souvenirs de pacotille.
La plus belle plage du lot demeure toutefois Cabbage Beach, dans le nord de Paradise Island. Les habitants l'adorent, les touristes et les croisiéristes aussi. Plusieurs grands hôtels y installent des chaises longues à la seule disposition de leurs clients, mais une entrée publique permet à tous de profiter du sable fin et des vagues, plus imposantes qu'ailleurs. Ici, les visiteurs de passage peuvent acheter des cocktails multicolores prémélangés servis à même de grandes cruches de plastique, ou s'offrir de l'eau de coco qu'ils boiront à la paille, à même la noix.
Blanc
Les Bahamiens servent sa chair blanche en salade, en chili, dans un court-bouillon ou enrobée de panure... La conque (conch, en anglais, mais prononcez «konk» à la bahamienne) est sans conteste le plat national du pays. Chaque jour, des pêcheurs vont cueillir un par un, sur le lit marin, les précieux coquillages aux lèvres ourlées de rose.
Souvent en après-midi chez Dino's, à 15 km à l'ouest de Nassau, deux hommes s'affairent sur un étal de fortune à extraire le mollusque de sa cachette. L'un fracasse la coquille à coup de marteau, le second extirpe la chair blanche et tarabiscotée. Du muscle pur, qui doit être attendri pour ne pas trop rebondir sous la dent. Dino's sert, dit-on, la meilleure salade de conque du pays, et c'est à lui que revient la paternité de la salade tropicale, où concombres et poivrons rouges côtoient pommes et ananas.
Dans ce stand alimentaire de bord de rue, tout concept de productivité a été évacué. Chaque salade est faite à l'unité, les légumes et les fruits frais sont coupés à la demande, qui est incessante. Pourquoi se presser?
Les tabourets (de simples caisses de lait renversées) étant tous occupés, peu importe l'heure de la journée, il faut s'attendre à... attendre. Qu'importe, la bière locale, la Kalik, est servie bien fraîche, et les Sky Juices (un cocktail fait de gin, de lait condensé, de chair de coco écrasée et d'une pincée de muscade) font délicieusement tourner les têtes. On est à l'heure des Caraïbes, après tout, et le stress n'a pas sa place ici.
Les viandes grillées sur le barbecue et les poissons frits sont les autres spécialités bahamiennes à découvrir. Tous les soirs, au Fish Fry d'Arawak Cay (à l'ouest de Nassau), la population locale et les touristes s'installent côte à côte pour déguster des plats traditionnels.
Bleu
C'est aux Bahamas qu'on trouve la troisième barrière de corail du monde en matière de taille, après celles de l'Australie et du Belize. Plus encore, la météo est propice à la plongée 12 mois par année, ce qui explique la grande popularité de l'archipel auprès des plongeurs et apnéistes.
Au sud de l'île de New Providence, l'entreprise Stuart Cove's s'est fait connaître grâce à ses plongées au milieu des requins.
Au cours de notre après-midi en mer, nous avons fait la première de nos trois escales près d'une île qui a servi au tournage du film Pirates des Caraïbes. Beaucoup de poissons colorés entourent le bateau, habitués d'être nourris par le capitaine. Le deuxième arrêt est plus émouvant : on peut nager près d'une immense sculpture sous-marine représentant une femme accroupie, paume ouverte vers le ciel, comme si elle portait la mer dans sa main.
L'ultime plongée a lieu dans l'Arène des requins. Flottant à l'horizontale le long d'un câble, nous avons vu tournoyer sous nos palmes une quinzaine de requins de récifs, attirés par un leurre lesté qui pendait plusieurs mètres sous le bateau. Les requins de récifs sont charognards, ils ne chassent pas les autres créatures marines (et encore moins les humains), mais les femelles peuvent être agressives. Et la plus grande fait près de deux mètres... D'où la prudence excessive du guide qui nous accompagnait dans l'eau. Une plongée magique.
Arc-en-ciel
Plusieurs îles des Antilles ont été peuplées par des esclaves venus d'Afrique. C'est vrai aussi pour les Bahamas. Sauf qu'ici plus qu'ailleurs, on a gardé bien vivante une tradition qui remonte à l'époque de l'esclavage: le Junkanoo.
Depuis plus de 200 ans, ce carnaval est présenté en pleine nuit, le 26 décembre et le 1er janvier. Les participants portent de lourds costumes multicolores faits de papier crêpé et dansent jusqu'aux aurores dans les rues. Partout, tout n'est que bruits de tambours et de cloches à vache, roulements de sifflets, chants et bans.
«Le Junkanoo célèbre aujourd'hui l'émancipation des Bahamiens», explique Arlene Nash Ferguson, double gagnante nationale du meilleur costume et directrice d'un musée consacré à ces festivités, à Nassau. «Les esclaves de l'Empire britannique avaient droit à trois jours de congé à Noël et en ont profité pour recréer un festival inspiré des rituels de leur Afrique natale. Il faut une année de travail pour faire un costume de Junkanoo ; il y a eu des divorces à cause du Junkanoo, tellement l'investissement en temps est grand. Mais qu'importe, c'est la célébration ultime de notre identité nationale.»
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Une partie des frais de ce voyage a été payée par le ministère du Tourisme et de l'Aviation des Bahamas, qui n'a exercé aucun droit de regard sur le contenu du reportage.
À la plage de Ten Bay, dans l'île d'Eleuthera, de simples pins servent de parasols.
PHOTO YANNICK FLEURY, LA PRESSE
ELEUTHERA: 150 PLAGES POUR SOI
Un trou, une bosse, un trou, une bosse... Il faut avoir la foi pour croire qu'une plage se cache au bout de cette route de bout du monde, faite de terre mille fois battue, au coeur de l'île d'Eleuthera.
Or, non seulement la route mène à une plage, mais cette dernière, nommée Ten Bay Beach, possède tous les attributs pour figurer dans le top 10 des paradis sur terre. Du moins pour qui rêve de paix et d'intimité.
Voyez : des pins pour simples parasols, du sable blond ou délicatement rosé sous les pieds, le clapotis des vagues comme seule musique. Dix humains au maximum dans les environs et un couple de pélicans pour représenter la faune ailée. On est loin des plages endiablées à la Copacabana... mais étonnamment près de Nassau. En effet, Eleuthera est situé à 96 km à vol d'oiseau de la capitale bahamienne. Vingt minutes de vol et on y est.
Couper l'hiver en deux
C'est cette tranquillité qui attire depuis quatre ans les Québécois Philippe Béha et Denise Labrie dans cette île. Chaque année depuis 2015, le couple coupe l'hiver en deux avec un séjour d'un mois à Eleuthera. Et pour l'an prochain, la maison est déjà louée... Restera l'automobile, essentielle ici, à réserver.
«Au début, on a eu le coup de foudre pour la configuration étroite de l'île, raconte Denise Labrie. Le matin, on peut aller marcher ou courir du côté atlantique, c'est extrêmement vivifiant. Puis, en moins de 10 minutes, on peut se retrouver de l'autre côté, où c'est calme et zen. Il y a peu d'endroits dans le monde où on trouverait ces deux ambiances à si courte distance. C'est idéal.»
En effet, dans cette île longue de 177 km, mais large d'à peine quelques mètres à son plus étroit, toutes les plages - on en compte plus de 150 ! - donnent soit sur l'Atlantique, soit sur le détroit d'Exumas. Les premières sont battues par une mer plus houleuse; l'eau y est d'un bleu profond. Les secondes baignent dans des eaux tranquilles flirtant avec le turquoise. Certaines sont vastes, d'autres juste assez grandes pour y étendre deux serviettes de plage...
Toutes, en revanche, sont gardées à l'état sauvage, ce qui séduit Denise Labrie.
«Il y a des plages pour tout : pour nager, pour ramasser des coquillages, pour marcher, pour faire de l'apnée. Par contre, il ne faut pas avoir peur de partir à la découverte, car la majorité des plages ne sont pas indiquées et peuvent être difficiles à trouver.»
En effet, la signalisation et l'aménagement des plages frôlent souvent le zéro absolu. Parfois, on a simplement dégagé un petit espace de stationnement près des dunes. Dans de rares cas, des tables de pique-nique avec parasols en coco y sont installées. Mais on n'y trouvera jamais de vendeurs itinérants, de stands alimentaires ou de chaises longues à louer à la journée. Et aucune clôture n'est plantée pour interdire l'accès à telle ou telle parcelle.
Dans une île de 11 000 habitants où l'on a l'impression que tout le monde connaît tout le monde, pareille mesure de sécurité n'est pas nécessaire. Sauf peut-être autour de la demeure du musicien Lenny Kravitz. Et encore. Ici, les simples quidams et les vedettes cohabitent dans la plus saine des indifférences. La légende veut que certains soirs, au bar Elvina de Gregory Town, on puisse voir Mariah Carey, Kid Rock, The Black Crowes ou Lenny Kravitz en personne se présenter au micro. Sans tambour ni trompette. Et sans provoquer d'émeute.
Au jour le jour
Eleuthera est l'île des vacances non organisées, qu'on planifie à la journée dans une résidence louée à des particuliers, comme le font Denise Labrie et son conjoint. De toute façon, on a trop de doigts dans une seule main pour compter le nombre d'hôtels dans cette île au profil effilé. Ce n'est pas le genre de la maison. Eleuthera est un mot grec qui signifie «liberté»; il n'y a pas de hasard. Les voyageurs viennent ici pour la beauté et la tranquillité des plages, pour les restos sans prétention qui servent du poisson frais grillé. Le mérou à la cajun (et la Key Lime Pie) de Tippy's, à Governor's Harbour, attire d'ailleurs les foules...
Haldore Russell et ses ananas dorés et sucrés méritent aussi d'être célébrés. Ex-employé des douanes, M. Russell veille sur 90 000 plants d'ananas (et quelques arbres fruitiers) dans sa plantation d'Hatchet Bay. «Eleuthera était célèbre pour la culture des ananas au XIXe siècle, mais l'avènement de la société américaine Dole puis le passage de certains ouragans ont découragé plusieurs cultivateurs.» Il faut dire que la charge de travail est colossale: il faut 18 mois pour produire un seul ananas à partir d'une bouture. Et chaque plan ne donne qu'un fruit dans sa vie.
Autre visite éducative: celle de la Leon Levy Native Plan Preserve, à Governor's Harbour. Une randonnée permet de traverser plusieurs écosystèmes différents, depuis la forêt de mangrove jusqu'aux milieux humides. Des jardins présentent des plantes médicinales ou vénéneuses, des arbres endémiques et des espèces venues d'ailleurs. À partir de la tour d'observation, on voit se dérouler sous nos pieds un gigantesque tapis vert qui ondule jusqu'à la mer.
Eleuthera a le coeur vert et les pieds qui baignent dans le bleu.