•  

    Le roman d’une maison

    ou l’histoire d’une bâtisse abandonnée


    jeudi 3 avril 2014, par Jean-Christophe Gueguen
     

    En arrivant de Talensac par le gué des Grandes Planches et le chemin qui rejoint le Plessis Cohan aux Autieux Renault, on accède au Breil en laissant La Haie Gilles sur la gauche.

    Tous les lieux dits sont reliés entre eux par de multiples chemins dont certains sont si creux qu’ils sont noyés la plupart du temps, surtout quand on s’approche du Meu.

     

    Le village du Breil compte trois fours à pain, trois puits et deux mares. A l’entrée du hameau, en venant du Meu, se trouve la belle maison bourgeoise de Mathurin Vitre, le maire conventionnel de Breteil entre 1790 et 1792. Il a pendu la crémaillère après la pose de la porte en 1786.

    Avec son étage muni d’une cheminée à l’âtre de briques en point de fougères dans la chambre du Maître ; ses six pièces réparties en trois logements distincts, elle respire le luxe et le confort. Le propriétaire a fait creuser une petite mare derrière son four à pain. La source qui ne tarit jamais, située plus haut vers la Haie Gilles, l’alimente suffisamment pour les besoins courants car il n’y a pas de bétail à abreuver.

    A côté, séparé par un jardin, la maison de l’ancien chapelain qui était rattaché jadis à La Haie Gilles, se compose d’une grande salle chauffée par une belle cheminée aux jambages sculptés en pierre de Montfort.

    JPEG - 38.3 ko
    Détail de la cheminée

    La poutre de l’âtre, guillochée sur les bords, est blasonnée d’un « Iesus Hominum Salvator » (Jésus Sauveur des Hommes) surmonté d’une croix.

    Une écurie sépare cette habitation de la petite ferme qui lui est accolée et qui appartient aux Rocheron.

    A l’Est, dans le même alignement discontinu, se trouve la grosse ferme semi-close de la famille Vitre. Les petites maisons des domestiques et des journaliers sont disposées en face de la cour et sur le bord du chemin qui mène au café du Patouillais ; ce chemin, en passant près des Aubiers et des Grandes Planches, rejoint le bourg de Cintré.

    Mathurin Vitre est considéré comme un homme dur par l’ancienne servante de son père. Elle a pourtant été sa nourrice. Mais Mathurine Mouazan le déteste tellement qu’elle regrette publiquement que le feu, mis à une meule de foin le 15 janvier 1789, ne l’ait pas été au chaume de sa belle maison qui en aurait été détruite.

    Il faut dire que l’hiver précédent a été glacial et l’été caniculaire, tout comme en 1783. En 84 et 85 c’est la chaleur et la sécheresse qui ruinent les récoltes. Ce mauvais climat entraîne la disette chez les plus pauvres des journaliers qui se nourrissent de laiterons à défaut d’autre chose. Bien évidemment, les plus nantis font des envieux.
    Mathurin, déjà propriétaire à la Corbinais, appartient à la troisième génération de Vitre connue au hameau du Breil. 
    Avant son père Marc et sa mère Jeanne Gaillard, son grand-père Jean qui était mariée à Laurence Rocheron y habitait déjà. 
    Lui et son épouse, Gilette Legendre, ont acheté des terres pour s’installer comme des bourgeois dans ce village.
    Au décès de Mathurin Vitre, la maison ne laisse plus de trace dans l’histoire locale pendant plus d’un siècle. Mais l’aisance de ses propriétaires se manifeste par l’excellent entretien de la maison.

    Dès que possible le chaume fait place à l’ardoise des carrières du Plessis de Coesme qui viennent d’ouvrir. Pour les toitures ordinaires une ardoise de faîtage en lignolet qui dépasse du côté des vents dominants suffit pour éviter les infiltrations. Ici, une luxueuse faitière en terre cuite couronne l’ouvrage.

    La charpente à l’ancienne, avec ses coyaux caractéristiques des anciennes toitures en chaume donne à l’habitation un petit air de vieux manoir.

    Le défaut de ces ardoises locales est un vieillissement très particulier : elles « chaulent », deviennent toute blanches et partent en poussière. Si bien que vers le milieu du 20e siècle la toiture fuit largement. Les murs s’imprègnent d’eau. La ruine définitive de la maison est amorcée car sa propriétaire la délaisse. Eugénie Berrée, veuve de Louis Legeard ancien cordonnier à Cintré, se trouve sans ressources et ne peut y palier. On l’appelle la « Geunie »

    Le paysage autour du hameau a bien changé. La période froide d’avant la révolution a presque éradiqué la vigne dont il ne subsiste qu’une treille au sud en façade, en face du four à pain de la petite ferme du Breil. Depuis toujours on cultive le froment, le seigle et « une quantité considérable de sarrasin ». L’avoine ne fait pas vraiment l’objet d’un commerce ; on le cultive surtout pour le cheval.

    Depuis la construction de la maison de Mathurin Vitre, le hameau n’a pas beaucoup changé. Dans la petite ferme du Breil, la relative prospérité permet la construction, vers 1900, d’une belle grange en pierre et terre, recouverte d’ardoises. La charpente reste en chêne, mais le plancher du grenier ainsi que l’empoutrement qui le soutient ont été réalisés en sapin de scierie. Dans la belle salle de l’ancienne habitation du chapelain les exploitants de la ferme ont installé un pressoir dont la barre heurte un peu, à chaque tour, la poutre de la cheminée qui a perdu son manteau et son conduit. Il a fallu bucher un peu le blason de la poutre pour laisser du champ à cette barre de presse ; mais on n’a pas jugé utile de scier la poutre elle-même. Il a fallu entamer les jambages de la porte pour laisser passer les tonneaux. L’écurie du chapelain abrite un taureau en plus du cheval. Trois vaches et leurs veaux garnissent l’étable. L’été il faut que les enfants les mènent jusqu’au Meu car le puits ne suffit pas à les abreuver.

    Dans les années 1930 la crise économique mondiale produit des répercussions inattendues au hameau. Le blé ne se vend plus… Les voisins se passent le mot quand un meunier accepte de moudre un peu. Un sac au Guern, un autre à Rende Fleur. Celui du Chatelier était bien pratique, à proximité de l’autre côté des Grandes Planches, mais il a brûlé accidentellement pendant la Grande Guerre et maintenant il faut courir à Montfort quand on ne trouve pas plus près.

    Par contre, le cidre s’écoule tout seul ! Les terres autour du hameau, fertiles et profondes, sont des terres à pommiers. Depuis presque cent ans ils gagnent du terrain. Il faut abreuver les villes et la capitale bretonne engloutit tout ce qu’on y peut mener. Arsène Monvoisin de la grande ferme du Breil exploite énormément de pommiers. Pendant le dernier trimestre de l’année et le début de la nouvelle, on ne fait que ça. Ramasser, presser, soutirer, livrer et recommencer. Il faut de la main-d’œuvre.

    La pauvre « Geunie » en profite. Sa maison se déhanche un peu et tombe en ruine ; elle a dû vendre, pour survivre, le seul lopin planté de quelques pommiers qui jouxte son habitation. Maintenant, elle se loue à journée. Elle travaille aussi à la Haye Gilles et pour qui veut bien l’employer.

    Les journaliers sans terre qui vivaient au Breil ont disparu au fil des décades et il ne reste guère plus qu’elle sur le coin. Leurs petites maisons qui avoisinaient les deux fermes principales ont disparues les unes après les autres. Il faut dire que la terre, dont elles étaient construites fond avec la pluie et, après le décès de leurs habitants, les fermiers ont vite fait de finir le travail et de récupérer l’emplacement pour labourer.

    La dernière ruine sur le chemin entre le Breil et le Patouillais disparaitra dans les premières années du 21e siècle. Un petit chêne d’une trentaine d’année, qui avait poussé tout seul au pied du pignon, en matérialise l’emplacement.

    Geunie n’est pas la seule à survivre de façon précaire. Bien qu’elle ne soit pas très sociable et d’un caractère un peu rugueux, elle « protège » une autre femme encore plus démunie. La petite maison des Grandes Planches héberge aussi une veuve de journalier dans la misère. Au printemps, Geunie ramasse des laiterons sur les fossés comme au 18e siècle, et les porte à sa commensale occasionnelle. A deux, la misère s’oublie un moment.

    La petite ferme du Breil est maintenant exploitée par la famille Frin. Les deux garçons, espiègles mais obéissants, sont sans doute les seuls que Geunie voit souvent.

    Obéissants… Ils ont l’interdiction d’aller chez elle. Leurs parents craignent les puces dont elle serait infestée… Mais comment résister au plaisir de l’exploration ? Un petit potager sépare les voisins. Les enfants ont remarqué que la 3e pièce du rez de chaussé, chez Geunie, est bourrée jusqu’au plafond de bois mort pour sa cheminée.

    Les lapins y prospèrent, sans avantage pour la pauvre vieille. Certains chasseurs l’ont remarqué aussi et la propriétaire n’aime pas du tout qu’on fusille juste derrière son dos. Il est vrai que sa propriété se limite strictement à l’aplomb de ses murs et que les chasseurs se postent à la porte nord de la bâtisse pour tirer le gibier.

    JPEG - 63.2 ko
    La serrure de la porte

    La porte principale de la maison ne s’ouvre plus complètement et ne ferme pas non plus. Geunie vit dans la grande salle, porte entre-ouverte en permanence, été comme hiver avec un pauvre feu dans la cheminée monumentale. Une armoire, un lit de coin, un petit lit-cage en fer pour un enfant qu’elle n’a jamais eu, sont sa seule richesse.

    Les petits voisins traversent, devant chez elle pour aller aux grenouilles dans la mare jadis creusée sur les ordres de Mathurin Vitre. Geunie les gronde un peu : « C’est à mé ça ! » Elle a raison et c’est tout ce qui lui reste ; mais elle ne sait pas pêcher les grenouilles !

    Pour un journalier le salaire semble parfois chiche et la tentation, de se servir « sur la bête », irrépressible. Au printemps, sur l’heure de midi, quand tout le monde est à table, Geunie vadrouille. Et on la surveille… Les potagers en libre-service attirent les indigents.

    Le Maître de la Haie Gilles n’est ni pire ni meilleur que les autres, mais vigilant sur les sous… Geunie lui a plusieurs fois demandé du travail et surtout un peu plus d’argent pour ses services. En vain.

    Les poules ont un défaut. Ça vagabonde partout, ça pond ou ça veut… Geunie laisse traîner ses yeux et ses oreilles. Quand ça pond, ça chante… Faut suivre… Voilà un gros nid bien ancien avec plein d’œufs. Elle n’a ni panier, ni rien pour les récupérer. Elle en glisse quelques-uns dans sa culotte et marche comme un canard dans la cour de la Haie Gilles. Le Maître, un brin réjoui par le repas qu’il vient de prendre, s’écrit : Ben Guenie, comment tu marches ?… Et d’un coup de sabot facétieux fabrique une omelette dont les contemporains se souviennent avec éclats de rire, plus d’un demi-siècle plus tard.

    La guerre… Encore.

    Arsène Monvoisin s’est rendu à Montfort sur sa bicyclette. Il termine un déménagement et ce matin il n’a pas besoin de la charrette. Il n’aura plus jamais besoin de rien, un bombardement le fauche près de la gare. On le transporte chez lui, au Breil, mortellement brûlé. Une servante de la grosse ferme se précipite par le chemin qui passe devant la maison de Geunie vers les Autieux Renault. Une des employées passe le feu. Elle arrive en courant… En vain.

    L’histoire, de nouveau cruelle, raconte qu’un hiver, Guenie a disparu. On a osé forcer sa porte toujours entre-ouverte. Elle gisait dans son lit et ne sentait pas bon. La sœur infirmière a constaté que la pauvre femme avait chuté dans son feu, s’était traînée dans son lit et agonisait toute seule dans le froid.

    La grosse ferme du Breil est reprise par monsieur Crublé. Il continue l’exploitation des pommes. Son fils Marcel n’aime pas ça du tout. Très dur, trop dur, pas très rentable. Il faut évoluer. Le tracteur devient le principal outil d’une ferme moderne. Les arbres sont les ennemis du tracteur. Marcel, sans s’en vanter, utilise la charrue pour mutiler les racines et faire dépérir les pommiers. Au grand dam de son père qui aime les arbres, il va gagner ; le paysage évoluera encore autour du hameau du Breil. Il se transformera, petit à petit, en plaine à céréales, oléagineux et autres cultures de plein champ. Il ne reste que trois pommiers un peu anciens au Breil. Et encore, ce ne sont pas des pommiers à cidre !

    200 ans après l’inauguration de la maison Vitre, nouveau propriétaire de la petite ferme qui est devenue une résidence de « vilotin » (habitant venant de la ville), et voisin de la bâtisse abandonnée, j’entreprends, à la main, des travaux de nivellement du sol devant la façade. Je désire pouvoir tondre au raz des murs. Et puis je butte sur un morceau de bois qui va me faire remonter le temps. Ce bout de bois s’avère être la porte de la maison assez bien conservée par la glaise tombée des murs et toujours mouillée dans cet endroit très humide.

    La porte se referme définitivement sur l’histoire de la Maison du Maire dont il ne reste que des souvenirs au hameau du Breil.

     D’après des recherches personnelles, des témoignages ainsi que les travaux de Bertrand Monvoisin.

     

    Généalogie:  Le roman d’une maison

    Pin It

    votre commentaire
  •  

    Jeanne Clerec, la grand-mère de Sylvester Stallone : un destin Américain


    jeudi 6 octobre 2011, par Jean Claude Bourgeois
     Cet article est publié avec l’aimable autorisation de l’auteur et du Centre Généalogique du Finistère (voir la présentation de l’association à la fin de l’article).

    La Brestoise Jeanne CLEREC est la grand-mère de l’acteur américain Sylvester STALLONE.

    Voici son histoire...

    Le 29 juillet 1901 à 3 heures 45, au 67 de la rue de la mairie à Brest, Marie Pauline RODRIGUE, âgée de 23 ans accouche d’une petite fille, Jeanne Victoria Anne, fille de Louis Victor CLEREC, alors commis à la mairie de Brest.

    Le papy ravi, Victor, ancien maréchal des logis chef dans la gendarmerie maritime, soldat héroïque qui a gagné sa médaille militaire, accompagne son fils pour faire la déclaration (AD 29 - Acte 990 - 1E226- vue 56/232)

    Ses parents s’étaient mariés à Dinan, Côtes du Nord, le 12 mai 1900 (AD 22 - Acte 27 image : 110 / 172.).

    Louis Victor CLEREC, alors archiviste à la mairie de Brest, né à Brest le 1er Avril 1877, fils de Victor et Marie CALONEC, a épousé, Marie Pauline RODRIGUE, née à Brest le 26 février 1878, et résidant à Dinan, chez ses parents, Jean Edouard Jacques RODRIGUE, gendarme maritime, né de père et mère inconnus, originaire de St Vaast dans la Manche, et Anne Marie CAVALAN son épouse, originaire de Pontrieux.

    Le 19 janvier 1906, Jeanne a un petit frère, Victor Louis (AD 29 - Acte 84 - 1E235- vue 22/2).

    Hélas, le 23 septembre 1918, Jeanne et son frère se retrouvent orphelins. Leur père, Victor Louis décède à Brest, laissant une famille modeste, pratiquement sans ressources. Il était encore jeune, 41 ans, s’était hissé au poste de chef de bureau à la Mairie, et habitait au 13 rue Diderot. Il ne semble pas être décédé des suites du conflit auquel il n’a pas participé. Alors ? Une des premières victimes de la grippe Espagnole ?

    En cette fin du conflit de 14/18, s’était installé tout prés de chez eux, un gigantesque camp militaire américain à Pontanézen, à Lambézellec.

    De Novembre 1917 à Novembre 1919 : 800 000 soldats ont débarqué à BREST.

    Épidémie de 1918-1919 : Apparue en février 1918 en Chine (Canton), puis dans les camps militaires aux U.S.A, elle suivit l’armée américaine en Europe.

    L’introduction en Europe par l’armée américaine a eu lieu à Bordeaux en avril 1918.

    La 1° phase (été 1918) clouait le malade au lit 3 jours.

    L’introduction de la 2e vague en Europe a eu lieu à Brest. Elle était caractérisée par un virus tuant 10 fois plus de personnes que la première vague et elle s’est rapidement étendue à l’Europe.

    La 2° phase (automne 1918) et la 3° (janvier 1919) tuaient en 3 jours.

    Au devant de ce flot kaki, il n’y pas que les « marchands » qui sont attirés. On note le développement considérable de la prostitution. En mai 1918, un arrêté municipal décide que toute femme surprise à rôder autour du camp sera considérée comme « femme de mauvaise vie et de mœurs ». (Source : WIki-Brest).

    C’est donc à l’âge de 17 ans, que Jeanne perd son père, et reste seule au foyer, avec sa mère et son jeune frère, Victor Louis qui n’a que 12 ans.

    Dans la France dévastée de l’après guerre, sans ressources, avec peu d’espoirs de trouver un mari rapidement (ils ont été décimés sur le front), elle rencontre un bel américain, de 25 ans, John Paul LABOFISH, qui présente bien, lieutenant de 1reclasse dans la marine, alors sténotypiste au Navy Yard, au Ministère de la Guerre à Washington, qui passait par là alors qu’il ne l’avait pas voulu (voir sa fiche de recrutement)...

    Comment se sont ils rencontrés ? Il a le coup de foudre, elle est belle, lui est un peu coincé chez sa mère, toujours est-il qu’ils se fiancent rapidement car il doit rentrer aux US.

    Les biographies officielles des Stallone, décrivent Jeanne comme une « Parisian Socialite » c’est-à-dire une « femme du monde Parisienne ».

    Les trois membres survivants de la famille CLEREC, décident alors de tenter la grande aventure aux Amériques et demandent leur passeport qui leur sera délivré début avril 1920 par le préfet.

    Avec leurs économies, ils achètent 3 allers simples pour New York.

    On les retrouve quelques jours plus tard à bord du paquebot La Touraine qui part du Havre et arrive à New York le 19 avril 1920. Elles ont 40 $ en poche.

    JPEG - 20 ko
    Paquebot Le Touraine
    JPEG - 124 ko
    Elis Island, l’arrivée des migrants

    Jeanne déclare sur le manifeste comme « correspondant » en Amérique, John P. LABAFISH, fiancé, résident au 802 Kennedy Street à Washington.

    JPEG - 32.1 ko
    Jeanne CLEREC et John LABOFISH
    Photo tirée de sa demande de passeport en 1923.

    Sans tarder, ils se marient dès le lendemain, le 20 avril 1920 à Manhattan, New York, et rejoignent Washington où John va présenter sa famille à sa nouvelle épouse (ou l’inverse...).

    Et là... C’est le CHOC ! Le troisième en un mois. Après celui de tout quitter pour partir, celui de la découverte de New York, et enfin celui de la découverte de la famille LABOFISH à Washington...

    Cette famille juive originaire de Russie a fui les pogroms d’Odessa de 1886.

    Les registres des recensements de 1900, 1910, 1920 et 1930 permettent de reconstituer son histoire. Elle est arrivée aux USA en 1888.

    Charles Shashan LABOFITZ, né en avril 1861, probablement vers Odessa, y avait épousé en 1884, Rose RABINOVITCH (ou LEMLIC selon les sources).

    En arrivant, ils avaient déjà deux jeunes enfants, William Harry, né le 20 décembre 1885 et Louis Willard né le 20 Novembre 1887 à Llinovitz au bord de la mer noire.

    En Amérique, sont nés Lillian Ethel le 8 septembre 1895 et le petit dernier, John Paul, le 15 janvier 1896.

    Installé à Washington, Charles ouvre une boutique de bicyclettes, puis de machines à écrire. Bon bricoleur, il perfectionne les machines et dépose des brevets qui lui assureront une certaine fortune, et écrit même un ouvrage « comment faire fortune en inventant » et se proclame « avocat ».

    Vers 1917, il délaisse sa famille et épousera une jeune femme de 30 ans sa cadette, Mary Zimmerman.

    Au recensement de 1920, juste avant l’arrivée de Jeanne CLEREC, Rose, 53 ans, se déclare « veuve » et vit avec 3 de ses enfants. Son fils aîné, déjà marié, vit dans la maison mitoyenne (Note : de plus longs développements sur la famille sont visibles sur le site du Forum CGF29, sous la rubrique « Généalogie Stallone »).

    Rose accueille alors sa belle fille, mais elle ne parle que Yiddish, et sans doute quelques mots d’américain. La pauvre Jeanne s’installe dans la maison avec son nouveau mari John et cohabite avec la fratrie Labofish.

    Le 29 novembre 1921, Jeanne donne le jour à sa première fille Jacqueline France LABOFISH (qui sera la mère de Sylvester Stallone), puis le 2 décembre 1922 à Madeleine Renée « Madely » Labofish.

    Pendant ce temps là, à Brest, la grand-mère, Marie Perrine CALLONEC est décédée 6 mois après le départ de sa fille et ses petits enfants, le 24 octobre 1920, et le grand père, Victor, ce « héros » décoré, décède le 18 mai 1922.

    Jeanne craque, ne supporte plus sa belle famille, et le 22 juin 1923, elle se rend au département d’État afin de demander un passeport pour revenir en France.

    Elle déclare en toutes lettres, au bas de sa demande, comme motif du voyage : « To visit relatives and friends and perhaps to stay for several years. » ( Pour visiter la famille et les amis et peut être pour y rester plusieurs années.).

    Elle embarque le 7 juillet 1923 de New York sur le paquebot President Roosevelt avec ses deux très jeunes filles, âgées de 18 mois et 8 mois.

    À Brest, elle retrouve sa mère et son jeune frère, qui sont juste rentrés après près de 3 ans passés à Washington. Marie Pauline RODRIGUE avait épousé à Washington, Alexandre DELCOURT, originaire de Mons, en Belgique, qui avait aussi émigré aux USA en 1912, à l’âge de 51 ans, professeur de musique, et devenu 1er violon de l’orchestre de Washington.

    Mais à Brest, sur un coup de tête, Jeanne, avec ses deux filles, décide finalement de rentrer le 23 octobre à New-York sur le même bateau, pour rejoindre le 1106 Jefferson Street à Washington où l’attend John.

    Alors, après quelques temps de vie commune, Jeanne de nouveau plaque tout. Elle quitte sa belle famille, son mari et délaisse cette fois ses deux filles.

    Au recensement de 1930, on retrouve John, célibataire, qui vit seul avec sa mère. Les deux petites, âgées de 7 et 8 ans, sont pensionnaires à l’Institution Méthodiste de Columbia.

    Jeanne refera sa vie avec Clarence Winnerton HYER, né le 19 novembre 1908 et décédé en janvier 1975 à Keansburg, Monmouth, New Jersey, fils de William Renson et Mary Elysabeth OSTRANDER. Ils auront 6 enfants et une vingtaine de petits enfants.

    Jeanne décédera le 4 février 1974 et sera enterrée à Keansburg avec son époux.

    Son petit frère, Louis Victor CLEREC, né à Brest le 19 janvier 1906 et émigré aux États-Unis en 1920 avec sa sœur, est revenu en Europe avec sa mère.
    Il épousera à Mons, en Belgique, Fernande Martha Paula COUWENBERG, le 12 août 1933, cousine de son nouveau beau-père. Entré aux Dames de France de Brest comme commis, il finira Directeur de magasins. Héroïque pendant le conflit de 39/45, couvert de décorations, il décédera au soleil de Nîmes dans le Gard, le 3 février 1984.

    La suite de l’histoire, en particulier les pérégrinations de sa fille, Jacqueline LABOFISH-STALLONE, à Brest et en Russie est consultable sur le Forum des Généalogistes du Finistère, sous le sujet « Généalogie de Sylvester Stallone ».

    Avis de recherche

    De Novembre 1917 à Novembre 1919 : 800.000 soldats ont débarqué à BREST. Au 1er Novembre 1919 : 1.200.000 ont été rapatriés depuis l’armistice. 
    Il transitaient et séjournaient au camp de Pontanézen.
    De nombreuses jeunes filles venaient travailler au camp, ou bien tourner autour de ces beaux militaires.
    500 à 600 ont finit par convoler et sont parties vers l’Amérique, dont la grand mère de Stallone.
    Philippe ABALAN tourne actuellement un documentaire sur ces américains et leurs conquêtes.
    J’ai besoin de photos et témoignages sur ces émigrées.
    Merci de me contacter (assez urgent) ....
    Jean Claude BOURGEOIS
    JCBO sur Génanet.

    Sources :

    - NMD Brest, Dinan et autres.
    - Recensements du gouvernement US.
    - Fiches Militaires US
    - Index Sécurité Sociale US.
    - Famille HYER, Famille CLEREC.
    - Département d’État Washington.
    - Manifestes des passagers débarquant à Ellis Island NY.
    - Nombreux participants et animateurs du Forum.
    - Hervé Baudy pour les recherches documentaires sur Brest.

     

    Jean-Claude Bourgeois est l’auteur de Penfentenyo : Grande et petites histoires d’une famille bretonne .

     

    Généalogie:  Jeanne Clerec, la grand-mère de Sylvester....

    Pin It

    votre commentaire
  •  

    "Par les sentiers du passé", un bel hymne à la généalogie

     
     

    Généalogie:  "Par les sentiers du passé"...

     
     
    Une fois n'est pas coutume, nous vous proposons cette semaine un très beau texte, rédigé en 1957 par M. Jacques Gobilliard (1893-1965), et que nous a envoyé son fils. Ce texte poétique et émouvant témoigne d'une pratique de la généalogie d'avant l'Internet, mais constitue surtout un vibrant hommage à cette passion qui nous anime tous, du néophyte branché réseaux sociaux au vieux briscard accro des salles d'archives...
     

    PAR LES SENTIERS DU PASSÉ



                C'est presque un beau chemin dans lequel on s'engage tout d'abord, large, propre, uni, avec des fossés de drainage au-delà des bas-côtés herbeux. Mais, au bout de quelques centaines de mètres, les caniveaux disparaissent après être montés insensiblement jusqu'au niveau de la chaussée ; puis ce sont les bas-côtés qui prennent leurs aises, perdant leur bel alignement et se confondant presque avec les champs. Bientôt, il ne reste plus qu'une sente étroite et le sol est devenu inégal ; de plus en plus nombreuses, des têtes rocheuses affleurent et font saillie,  mangent les bas-côtés et même au-delà. Tout à-coup, il n'y a plus, sur une large étendue, que de la pierre et du sable où le piétinement ne laisse plus de trace : plus de sentier marqué. Cependant, en cherchant bien, on le retrouve un peu plus loin presque aussi plaisant qu'au début. Mais, brusquement, il s'arrête devant un ruisseau et c'est très difficilement que sur l'autre bord, on reconnaît dans la fange un vague passage qui s'engage dans le taillis.


                Il s'y perd, réapparaît, se perd encore, se retrouve en un large layon, et finit par disparaître presque totalement, à peine jalonné de très loin en très loin par quelques branches cassées par les passants ou par quelques traces d'animaux sauvages. Enfin c'est un cul de sac sans espoir. Mais on a gardé le souvenir d'une apparence de croisement devant lequel on s'était arrêté indécis. On revient en arrière, on reprend le chemin d'abord méprisé, on s'y engage avec les mêmes surprises que dans le précédent; d'aventure en aventure, on finit par se perdre, heureux de tomber par hasard sur une belle route où l'on se reconnaît, ou stupéfait après mille détours, de se retrouver au point de départ.


                Autant que les sentiers de la terre, les sentiers du passé sont capricieux et décevants pour qui veut y chercher la trace de sa lointaine famille. Les débuts sont toujours engageants, puis ils deviennent malaisés; on les perd dans les sables, on les rattrape, on s'enlise dans des fondrières, on s'engage dans des impasses et les gens se rient de vos déconvenues. Il faut serrer les dents, mépriser railleries et difficultés ; ce n'est qu'à force d'entêtement et de ténacité qu'on réussit ; encore le succès n'est-il point assuré et, souvent, il faut savoir se contenter de bribes et de miettes. Quand même, on ne doit jamais admettre sa défaite : le hasard est si fou qu'il traverse parfois votre chemin ; on peut toujours compter sur lui.


                La voie large et facile du début, ce sont les parents et les grands-parents, on les connaît, on sait leurs tenants et aboutissants ; leurs noms et qualités figurent sur les actes officiels courants. Les difficultés commencent avec la génération précédente, mais elles sont encore minimes et facilement solubles si l'on veut bien remuer quelques papiers de famille vaguement oubliés dans le fond d'un secrétaire.


                Cependant, bientôt, ces archives personnelles ne suffisent plus, il faut s'adresser aux notaires ...et là, même complaisante, leur ressource est faible car, envahis par des dossiers périmés en des études étroites, ils s'empressent de s'en débarrasser au profit des Archives Départementales. Il resterait donc à se rendre au chef-lieu du département et à consulter lesdites archives ; on recule cependant devant le dérangement et surtout devant une expédition dans un monde inconnu que l'on imagine plein d'embûches et de mystère.


    Jacques_Gobilliard_1947.jpg           
     
    Alors on se retourne vers les vieux cousins à la mémoire infaillible, vers les vieilles cousines collectionneuses de faire-part, mais sans entrain et avec circonspection, car on craint de se faire éconduire. Quelle erreur ! Dans l'immense majorité des cas, ce sont gens qui s'ennuient et qui se morfondent dans la solitude où on les laisse. Ils sont ravis de se découvrir utiles, ravis qu'on ait pensé à eux et flattés qu'on ait recours à leurs lumières ; ils ont des loisirs et ne demandent qu'à les remplir à votre profit. A peine leur avez-vous exposé votre requête qu'ils s'enthousiasment, s'affairent, fouillent leurs vieilles lettres et finissent par réunir une extraordinaire moisson de noms, de dates et de lieux.


                Par contre, les rebuffades ne vous sont pas épargnées si vous vous adressez à des gens de votre génération ; de ce côté-là, les critiques ne manquent pas, méprisantes ou jalouses, moqueuses ou malveillantes. Le moindre mal consiste à se heurter à l'indifférence ou à la nonchalance, ou bien encore à la fin de non-recevoir d'interlocuteurs à la vie trop occupée. Mais c'est la pire mésaventure que de se heurter au mur des secrets de famille, pauvres secrets d'autant plus jalousement gardés qu'ils sont plus insignifiants. Il s'agit rarement de choses proprement scandaleuses, et, très généralement, on se borne à céler des origines modestes, des parentés douteuses, des titres et particules récents. Parfois aussi, ce sont de ces histoires qu'on aime à lire dans les romans mais qu'on réprouve parmi les siens : histoires d'amour, histoires d'argent, querelles politiques ou de convictions religieuses. Les austères gardiens de ces mystères vous suspectent facilement des plus sombres desseins. Le plus sage est de ne pas insister et d'opérer une retraite prudente ; tôt ou tard, vous finirez par découvrir le pot aux roses et, alors, il s'avère bien décevant : les roses sont bien vulgaires et puis....elles sont fanées.


                En somme, les gens réticents réussissent tout au plus à vous agacer ; bien plus dangereux sont les glorieux et les bâtisseurs de romans dont les élucubrations vous lancent sur de fausses pistes. Et plus dangereux encore sont ceux qui compensent des défaillances et des incertitudes de mémoire par une imagination exubérante : ce sont les pires des informateurs, sans parler toutefois de ceux, heureusement très rares, qui sciemment et volontairement, vous trompent et vous égarent. De toutes façons, la documentation rassemblée grâce aux vieux cousins et aux vieilles cousines reste remarquable par son ampleur et sa précision. C'est une base solide, on peut sans crainte se reposer sur elle. A vrai dire, elle présente quelques lacunes, qui vous sont d'ailleurs loyalement et franchement avouées et signalées. On vous conseille alors de les combler par des recherches d'état civil, suggestion des plus normales et des plus judicieuses, mais génératrice d'un véritable tourbillon.


                Jusqu'à présent, votre travail s'est avéré de tout repos : de votre fauteuil, vous avez expédié de multiples lettres et vous avez soigneusement classé les réponses. Tout au plus avez vous-vous fait quelques visites fastidieuses pour recueillir des renseignements plus ou moins précieux, mais noyés dans un fatras de détails oiseux et de bavardages interminables. Désormais vous voilà lancé par les pérégrinations : c'est d'abord à pied et en vous promenant que vous allez passer des heures de plus en plus nombreuses dans les mairies les plus proches. Puis le champ s'élargit insensiblement ; c'est d'abord la bicyclette, puis l'auto, puis le train....pourquoi pas l'avion. Vous vous trouvez pris dans vos propres filets : une information en appelle une autre, puis une autre encore ; vous sacrifiez tous vos loisirs et au lieu de prendre repos et plaisirs, c'est une course sans trêve ni fin.


                Les mairies succèdent aux mairies : mairies de village où, pendant la récréation de ses élèves, l'institutrice vient vous ouvrir ses placards et vous confie ses archives avec mille recommandations, mairies plus importantes où le secrétaire vous accueille parfois d'un air soupçonneux et vous demande mille références. Et vous voilà installé dans le silence de la salle des mariages, sous le regard olympien d'une opulente République, devant un tas poudreux de manuscrits : humbles cahiers aux feuillets brunis et froissés, registres grossièrement brochés ou récemment reliés par des municipalités précautionneuses.


                Jusqu'à la Révolution, ils étaient tenus par les curés des paroisses, mais les plus anciens ne datent guère que de la fin du XVI? siècle. Dès 1539, François 1er avait bien donné l'ordre d'enregistrer par écrit baptêmes et inhumations, et, en 1563, le Concile de Trente y avait ajouté la tenue d'un registre des mariages. Mais les curés de cette époque étaient de petite instruction et, peut-être aussi, toute oeuvre d'écriture leur répugnait-elle grandement. Le fait est qu'ils mirent plusieurs dizaines d'années à obtempérer. Encore le firent-ils avec une négligence certaine dans les débuts : les actes sont rédigés avec une concision et une sécheresse qui désespèrent, ils négligent même souvent les noms de famille. Quant à leur latin, Cicéron ne le comprendrait guère. Et puis, que de signes biscornus en guise de caractères, que de hachures et de mots tronqués en guise d'abréviations ; on y devine des mains plus habituées à la houe qu'à la plume. Que de sortes d'écritures aussi, les unes hautes et sabrées, les autres minuscules et rampantes, la plupart inhabiles et recroquevillées, toutes plus ou moins lisibles et plutôt moins que plus. Les déchiffrer toutes demanderait des siècles, mais on a dans les yeux le nom de famille que l'on recherche et il vous jaillit à la figure ; avec quelque entraînement, on arrive, en parcourant seulement les pages, à ne laisser passer aucun texte intéressant.


    arbre.jpg           
     
    Petit à petit apparaissent les signatures des témoins et c'est avec une certaine émotion qu'on se penche sur les premiers souvenirs personnels de lointains ancêtres. Signatures incertaines d'illettrés dont elles constituent la seule science, signatures appliquées de gens plus évolués, signatures plus personnelles et plus affirmées, c'est tout un monde qui se dévoile et on aimerait s'attarder à leur examen et à leur contemplation.


                Mais le temps presse, les heures passent, désespérément rapides, c'est à peine si on a pris le temps d'avaler quelques sandwichs sur le pouce, on tourne fébrilement les feuillets avec la hantise de n'avoir pas tout vu et surtout de n'en avoir pas fini lorsque sonnera l'heure du départ. De temps en temps, l'institutrice  ou le secrétaire de mairie vient vous surveiller en silence ; parfois, c'est le maire ou l'adjoint qui, plus  bavard, s'intéresse à vos recherches, vous pose des questions et vous fournit des renseignements utiles. Après la difficulté de certains contacts, la confiance finit par régner et on se quitte avec de vigoureuses poignées de main pleines de cordialité.


                Terminer en une journée l'examen des registres d'une commune constitue un tour de force difficile à réaliser. Une aide est bien nécessaire ; personnellement, je l'ai, de temps en temps, trouvée auprès de mes enfants. Sans doute était-ce une véritable corvée pour eux, avec le sacrifice d'une journée de loisirs ; ils n'en ont été que plus méritants. Certains d'entre eux ont poussé le dévouement jusqu'à se rendre seuls à bicyclette en quelques villages éloignés, à une époque où, pendant la guerre et les années qui la suivirent, les transports étaient presque totalement déficients.


                Après avoir consulté des registres pendant 5 ou 6 heures, on part complètement ankylosé de corps et d'esprit, les membres endoloris, la tête en feu, les doigts crispés par le stylo. Mais on se sent tout heureux des pages de renseignements qu'on a remplies fébrilement et sans ordre; on sait qu'on a recueilli une ample moisson, mais on n'a aucune idée de sa valeur. On a enregistré comme une machine, on n'a pas réfléchi. Cependant, on a grande hâte de connaître le résultat de la journée et, dès le retour, on classe, on ordonne, on compare des dates, des prénoms, des parentés, on griffonne des lambeaux de filiations, on tente d'édifier un ensemble. Et c'est là que le sentier se perd dans les sables ; le retrouver n'est pas chose aisée et sans qu'on y prenne garde, les heures passent. Alors, tard dans la nuit, on quitte à regret son travail incohérent et l'on s'endort d'un pesant sommeil, trop las pour en rêver. Le soir suivant, on se remet à l'œuvre avec acharnement, et souvent bien d'autres soirs encore jusqu'à ce qu'on ait retrouvé le sentier perdu.


                Il arrive qu'on n'y réussisse pas et c'est alors un véritable désenchantement: rien ne se relie à rien, les dates se contredisent. Trop de gens portent le même prénom en plusieurs générations successives et en plusieurs familles distinctes quoique contemporaines ; trop de gens se sont remariés sans qu'il en reste trace, spécialement pour les hommes qui généralement, convolent en d'autres communes. Il faut alors reprendre l'étude bribe par bribe jusqu'à découvrir l'indice qui illumine tout ou, pour le moins, celui qui ouvre de nouveaux espoirs. Celui-là, c'est presque un impondérable: on a examiné la carte de la région, suivi du regard les routes et les vallées, supputé les liaisons probables des localités entre elles, estimé les relations et les voisinages. En effet, sans qu'ils s'en doutent, les hommes, comme les animaux, suivent les cheminements naturels et, très longtemps, ils se sont alliés en conséquence. On finit alors par projeter une visite à la mairie d'une localité qui parait en connexion avec la première : des mariages ont déjà eu lieu entre leurs habitants.


    Musset-jg-img154.jpg       
     
        Alors tout recommence indéfiniment jusqu'à la solution du problème. Cependant des lacunes demeurent que rien ne semble devoir combler; et puis les registres paroissiaux ne remontent que péniblement à l'an 1600. On a beau dire que c'est déjà là une belle ancienneté; pour qui a l'attrait du passé, il est désagréable de se résigner. Il faut chercher ailleurs et on aborde les arcanes des Archives Départementales pour lesquelles on avait, tout d'abord, manifesté si peu de propension. En fait, on les découvre infiniment moins rébarbatives qu'on ne l'avait imaginé : tout y est prévu et agencé pour la facilité et l'agrément du travail. La salle de lecture est généralement confortable, des catalogues simplifient les recherches, des bibliothécaires répondent à tous vos désirs, des archivistes vous orientent et consentent même à vous aider au déchiffrement des manuscrits.


                Sans doute, les premières visites sont-elles de très médiocre rendement ; il faut apprendre à se servir de l'outil, il faut se familiariser avec ses ressources, il faut surtout apprendre à exploiter les catalogues, les inventaires et les répertoires de noms de famille. Il est vrai que personne n'est là pour vous faire la leçon et l'on doit faire soi-même sa propre expérience ; ainsi le génie de la lampe était-il là pour exécuter les ordres d'Aladin, mais non pour lui dicter sa conduite.


                Donc, au début on se sent un peu perdu ; on arrive avec une idée préconçue, avec le désir de consulter une archive bien déterminée et là se bornent très étroitement les premiers pas. On ne va ni très loin ni très vite ; puis, comme l'enfant qui se hasarde à marcher, on s'enhardit et on découvre tout un monde qui, sans qu'on s'en doute, vous tendait les bras. On découvre les doubles, au moins partiels, des registres paroissiaux des communes : ce sont de vieilles connaissances, mais, ici, on peut les consulter contradictoirement sans avoir à errer de village en village. Et puis on s'aperçoit que l'état civil, déjà si limité dans le temps, est loin d'être la seule source de documentation. On découvre qu'il existe des archives beaucoup plus anciennes et beaucoup plus précieuses: ce sont les registres fiscaux des communes, des paroisses, des seigneuries, des évêchés. Dès les âges les plus lointains, on a fait des comptes, on a dressé des rôles fiscaux, on a enregistré les contrats et authentifié les échanges. Les peuples ont beau faire des révolutions pour changer de gouvernement, dans l'espoir d'alléger leurs charges, leurs maîtres successifs conservent pieusement l'arsenal financier de leurs prédécesseurs, arsenal humain comme arsenal comptable. La lignée des agents du fisc ne s'éteint jamais et malgré quelques autodafés, les registres fiscaux passent intacts à travers les événements et les changements de régime.


                C'est là qu'on trouve l'indispensable complément des archives d'état civil, là aussi qu'on trouve leur prolongement en arrière des siècles et, comme on pouvait s'y attendre, les seconds sont infiniment plus soigneusement tenus que les premiers. Là, jamais d'oublis, jamais d'omission: d'année en année, on suit l'évolution des familles par l'enregistrement de toute matière imposable, acquisitions, ventes ou contrats de tous ordres ; mariages et successions y sont consignés en bonne et due forme : seuls les nouveaux-nés n'intéressent pas le Fisc, du moins provisoirement.


                A Chartres en particulier, où je me suis rendu maintes et maintes fois, j'arrivais le samedi à la petite aube par le train, ou grâce à la voiture d'un ami compatissant. Parfois, chassé des rues désertes par la pluie ou la froidure, j'attendais l'heure d'ouverture dans la Cathédrale toute proche, seul refuge ouvert à cette heure. Puis c'était la journée de labeur incessant, jusqu'au soir, où le train me ramenait à Paris; et, déjà pendant l'heure de trajet, je tâchais de coordonner mes notes.


                La moisson est très inégale : certains jours on rentre très déçu et les mains presque vides, d'autres fois c'est l'inverse et il faut ensuite des jours et des jours pour classer et exploiter le tout. Mais les grandes trouvailles se produisent par hasard : un soir, après une journée dénuée d'intérêt et de rendement, on demande un dossier pour occuper la dernière demi-heure, et en le feuilletant sans conviction aucune, on découvre un document inespéré qui reporte la filiation étudiée à plus d'un siècle en arrière.


                Alors l'appétit vient en mangeant; après les archives des départements, on s'attaque aux Archives et à la Bibliothèque Nationales. Là c'est un nouvel apprentissage à faire, car tout un monde de documents s'offre à vous et on ignore la façon de l'utiliser : rien que pour les catalogues, fichiers et répertoires, des salles grandes comme des cryptes de cathédrales. Mais là aussi, tout arrive : on finit par se familiariser avec les aîtres et les coutumes. Et les recherches recommencent au même rythme: seul le cadre a changé. Mêmes journées triomphantes, mêmes journées décourageantes, mêmes trouvailles sensationnelles, mêmes courses contre la montre. Et par la suite, même besogne de patience pour tâcher de raccorder les morceaux épars : ils sont devenus innombrables, ces morceaux, et souvent sans rapport apparent les uns avec les autres.


                Ce sont, comme dans les taillis envahis par les ronces, les tronçons de sentier qui ne se ressemblent même pas : ils gardent vaguement la même orientation et, à première vue, c'est tout ce qu'ils ont de commun. Cependant, les usagers qui suivent le parcours en connaissent les accidents et les évanouissements momentanés ; ils savent que les tronçons épars participent du même ensemble et, presque sans hésitation, ils passent de l'un à l'autre sans perdre jamais leur chemin. Par contre, il y a des routes tombées dans l'oubli, et, de celles-là, il est difficile de reconstituer le tracé ; de très loin en très loin, on découvre un jalon, une borne perdue, mais, entre les bornes, il y a tout un trajet, parfois mystérieux. Car la route n'est pas toujours droite et en suivre les méandres est un art laborieux qui exige intuition et ténacité. Et puis ces bornes ne sont pas toutes perdues; certaines se dressent encore en des lieux familiers, mais on en a oublié le sens comme on a oublié celui de ces pierres levées éparses dans les campagnes. Ce sont les traditions que l'on conserve jalousement, mais dont l'origine est inconnue, traditions de famille qui se transmettent de générations en générations.


                Et alors, n'y a-t-il pas quelque piété à en retrouver la signification ? Le culte des idées disparues s'apparente à celui des morts qui les ont eues, il constitue le patrimoine de base des familles, comme celui des nations et des races. Une famille sans tradition, c'est une nation sans histoire.


                On dit que les peuples heureux n'ont pas d'histoire, mais suffit-il de n'avoir pas laissé de traces pour être valablement réputé heureux ? Et puis y a-t-il des peuples heureux ?

    J. GOBILLIARD - Novembre 1957

    NB : Dessin de Jacques Gobilliard

     

    Généalogie:  "Par les sentiers du passé"...

    Pin It

    votre commentaire
  •  

     

    Le passage du photographe dans un petit village ardennais en 1911

    Chronique de la vie d’un petit village ardennais


    jeudi 9 février 2012, par Dominique Gettiaux
     

    En 1911, l’arrivée d’un photographe ambulant provoque l’effervescence dans le petit village d’Evigny. Il y a ceux qui vont pouvoir se faire photographier et ceux dont les moyens ne le leur permettent pas. Heureusement, la générosité de l’un va faire le bonheur de quelques autres...

    Mon grand-père, qui exploite un petit atelier de ferronnerie, sollicite le photographe pour un portrait de groupe. Certains des ouvriers de l’atelier ainsi que deux voisines ne peuvent se payer cette prestation. Mon grand-père invite tout le monde à figurer sur la photo.

    On retrouve donc, de haut en bas et de gauche à droite en regardant le cliché :

    Deux ouvriers tenant les outils de leur travail,

    mon grand-père Eugène-Joseph Gettiaux, en bourgeron clair,

    un autre ouvrier accompagné de son épouse.

    Au premier rang, une vieille voisine dont les enfants sont partis habiter loin du village et qui pourra ainsi leur envoyer son portrait,

    ma grand-mère Joséphine-Eugénie Gettiaux, née Thillois avec sa plus jeune fille Lucie sur ses genoux,

     

    et enfin mon autre tante Henriette.

    On peut constater que, pour l’occasion, chacun s’est fait beau : on a mis les beaux tabliers blancs, les petites filles ont des rubans dans les cheveux. Les hommes quant à eux, prennent des poses avantageuses et font valoir leurs belles bacchantes !

    Je n’ai pas pu retrouver le nom des ouvriers ou des voisines mais peut-être certains lecteurs y reconnaîtront un grand-père ou une grand-mère, voire d’arrières grands-parents.

    J’ai trouvé cette histoire touchante : la solidarité a permis de fixer à jamais les visages de ces disparus et permettra peut-être d’enrichir l’iconographie familiale de certains.

     

    Généalogie:  Le passage du photographe dans....

    Pin It

    votre commentaire
  •  

    13 mars 1914 : réponse de la Russie aux allégations des journaux allemands

     

    Ce jour-là, le Petit Journal publie en Une la réponse d'une haute autorité russe à la campagne anti-russe de la presse allemande. Un ancien ministre revient sur les débats concernant l'immunité de la rente. Affaire Cadiou : le parquet se demande s'il ne s'est pas suicidé. Un aéroplane mystérieux, en difficultés, aperçu au dessus de Lunéville. La présence de la France en Orient. "La carte forcée", précurseur de l'arnaque publicitaire ? Le général Lyautey à Madrid.



    13_mars_1914.jpg

     

    Généalogie:  13 mars 1914 : réponse de la Russie....

    Pin It

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique