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    Drame vécu: Se sauver des flammes

     

    La vie de Nick Bostic n’avait rien d’héroïque. C’était un jeune homme perturbé. Sans projets d’avenir. Mais un soir, tout a basculé lorsqu’il a fallu qu’il se sauve des flammes.

     

    Illustration d'un homme dans sa voiture, devant les flammesILLUSTRATION DE STEVEN P. HUGHES

     

    Par une soirée chaude de juillet, Nick Bostic rentre chez lui, à Lafayette, dans l’Indiana. Soudain quelque chose se passe, à peine perceptible. Une lueur orangée au bord de son champ de vision. Puis au moment de passer devant une maison, il comprend. Freine à fond. Ça brûle!

    L’homme a connu des jours meilleurs. Des mauvais aussi. Il a aujourd’hui 25 ans – 1,90m, forte carrure, barbe peu soignée encadrant le plus souvent un sourire malicieux – et se demande encore quoi faire de sa vie qui n’a pas toujours été facile.

    Il a passé son enfance à faire la navette entre sa mère, à Lafayette, et son père, dans l’Arkansas, sans qu’aucun des deux foyers ne lui apporte amour et sécurité. Pour décrire l’enfant qu’il était, ceux qui le connaissaient l’auraient sans doute qualifié de «bouffon», raconte-t-il. Il savait s’attirer des ennuis, se comportait comme un idiot, comptait sur l’humour pour se faire des amis, sans grand succès.

    Ses ennuis se sont aggravés à l’adolescence. Il a pris des métamphétamines. Certains de ses camarades se sont suicidés. Il a pu trouver par moments que la vie ne valait pas la peine d’être vécue. Il s’est pourtant ressaisi il y a quelques années. Il a cessé les drogues dures. Aujourd’hui, il vit avec sa compagne, Kara, et travaille à la pizzeria Papa Johns. On dit que c’est un homme au grand cœur qui ne sait pas trop quoi en faire.

    Ce 11 juillet 2022, après une dispute insignifiante avec Kara, il quitte en trombe leur appartement sans emporter son téléphone pour ne pas être joignable. Il prend la voiture de sa compagne, fait le plein, puis va fumer un peu d’herbe dans le stationnement d’un magasin de pièces d’auto où il va se réfugier quand il a besoin d’être seul. Pendant une quinzaine de minutes, il contemple les étoiles en silence, puis décide de rentrer.

    Il est un peu après minuit quand il aperçoit la maison en feu, s’arrête, fait marche arrière, se gare dans l’allée devant la maison. Des flammes sortent de la véranda et viennent lécher les murs. Il bondit de la voiture, regrettant aussitôt son téléphone. «Au feu!», hurle-t-il dans la nuit. Il fait signe à une voiture qui passe dans la rue, mais ne s’arrête pas. Il court à l’arrière de la maison, redoutant de trouver la porte verrouillée. Non, il peut l’ouvrir. Il s’engouffre dans le brasier.

     

    Une mauvaise surprise

    Les Barrett forment une joyeuse bande. Une famille nombreuse. Leur maison de location dispose de cinq chambres à coucher et elle résonne toujours des cris et des rires d’amis et de cousins qui y viennent à l’occasion de barbecues, pour y passer la nuit ou jouer au volley-ball dans le jardin. Ils vont à l’église tous les dimanches.

    Ce soir, c’est le soir de sortie. David, 39 ans, directeur adjoint de l’école secondaire Tecumseh, et sa femme Tiera sont partis chez des voisins à quelques maisons, jouer une partie de fléchettes. Quatre des six enfants sont à la maison. Seionna, leur fille de 18 ans, est chargée de veiller sur les plus jeunes. Elle s’occupe de Kaleia, sa petite sœur d’un an et demi. Shaylee, sa sœur de 13 ans, a invité une copine à dormir. Kaylani, la petite de six ans, va d’une pièce à l’autre à la recherche de quelqu’un avec qui dormir.

    Kaylani déteste s’endormir seule. Débordante d’énergie, elle est si curieuse et confiante que son père craint toujours qu’elle ne suive le premier venu. Cette fois, elle tente la chambre de Seionna au rez-de-chaussée dans l’espoir de se glisser dans le lit de sa grande sœur. Mais Seionna n’est pas en forme et doit travailler tôt le matin. La petite est priée d’aller dormir dans sa chambre, mais, promis, on se rattrapera demain soir.

    C’est une sorte de bruit d’explosion qui réveille Seionna. Les enquêteurs découvriront plus tard que l’incendie a débuté sur la véranda et fait exploser le réservoir de propane à côté du gril. Pour l’heure, la jeune femme sait seulement qu’il y a de la fumée dans sa chambre. Le salon juste à côté est la proie des flammes et elle sent la chaleur sur sa peau. Je rêve? se demande- t-elle. Puis elle bondit hors de son lit. Les enfants! Elle s’élance dans l’escalier, arrache Kaleia à son berceau et se précipite dans la chambre d’à côté où Shaylee et son amie dorment à poings fermés.

    Dans la chambre voisine, le lit de Kaylani est vide. Où est-elle ? Seionna est saisie d’une angoisse indicible. La petite aime bien dormir dans le salon, qui est envahi par les flammes.

     

    Secourir à tout prix

    Les rideaux fondent. C’est une des visions surréalistes que Nick Bostic retiendra de sa course dans les couloirs de la maison où il va de pièce en pièce à la recherche des survivants. Après avoir ratissé le rez-de-chaussée, il se dirige vers l’escalier. Il est déjà presque en haut quand il voit sortir d’une chambre à l’étage quatre figures aux yeux grand ouverts qui le dévisagent. «La maison brûle, il faut sortir!», hurle Nick.

     

    Illustration d'un homme qui sauve une famille des flammesILLUSTRATION DE STEVEN P. HUGHES

     

    Soutenues par lui, les filles dévalent l’escalier, sortent. Elles se regroupent en cercle sur la pelouse pour reprendre leur souffle. «Il y a quelqu’un d’autre?», demande-t-il. «Oui, une autre fille!», lance Seionna, mais personne ne sait où se trouve la petite de six ans. Nick s’engouffre de nouveau à l’intérieur.

    Le feu dévore maintenant tout un côté de la maison. L’odeur est infecte et intense. Une fumée noire s’accumule au plafond et redescend en volutes. La chaleur est insupportable. Nick se heurte à un véritable mur d’air brûlant.

    Il remonte à l’étage. Tout semble étrangement normal. Ici, aucun signe de l’incendie qui, ailleurs, avale tout. Il cherche sous le lit superposé et dans le placard. Personne. Il fouille les chambres une à une en tendant l’oreille, surpris de ne pas entendre le moindre gémissement.

    L’homme se prépare à redescendre. Mais, tel un rideau de poison, la fumée, épaisse, noire, opaque, s’est maintenant frayé un passage jusqu’en haut de l’escalier. La bouche et le nez couverts avec son tee-shirt, il hésite sur le palier. Puis il entend des pleurs. Ça vient du bas, de l’autre côté de la fumée.

    Il s’engage dans l’escalier en titubant et plonge dans l’obscurité. Il est en mission de recherche et sauvetage, l’ouïe en alerte. Il se dirige de son mieux vers le bruit, les bras tendus. Soudain, la petite est là, devant lui. Il la soulève rapidement, cherche à tâtons la porte. Mais dans la fumée et la chaleur, il trébuche, désorienté. Par où sortir? Où est la porte? Il ne distingue que les ampoules de l’escalier qui va à l’étage, des lanternes dans ce brouillard.

    Nick remonte. En posant le pied sur la dernière marche, il trébuche et s’écroule. Le feu l’entoure. Est-ce la fin? Il réussit à se relever. Kaylani est toujours dans ses bras. Il se souvient d’avoir vu une fenêtre sur le côté de la maison encore épargné par l’incendie. C’est là qu’il faut aller.

    Il finit par trouver la pièce et s’attaque aussitôt aux rideaux et aux stores devant la fenêtre. Un cordon de rideau s’enroule autour d’une cheville de Kaylani. Il interrompt sa précipitation. Il réussit enfin à se débarrasser des stores et des rideaux. L’homme et l’enfant ne sont plus qu’à une vitre de l’air pur.

     

    Illustration Homme Et Fille Se Sauvent Des FlammesILLUSTRATION DE STEVEN P. HUGHES

     

    La petite blottie contre lui, Nick donne un coup de la main droite sur la vitre. Rien. Son poing rebondit. Il recommence, plus fort. Cette fois, la vitre éclate et lui entaille le bras. Une bouffée d’air emplit la pièce. Il débarrasse rapidement le cadre des éclats de verre.

    Derrière eux, les flammes s’avancent dangereusement. Par la fenêtre, on voit une bande de pelouse s’étendre entre la maison et la palissade des voisins. La petite jette un coup d’œil. «Je ne veux pas sauter», dit-elle. Nick pense exactement la même chose.

    Mais ont-ils le choix? Les flammes s’approchent, la chaleur augmente. Nick recule alors de quelques pas, puis, tenant toujours serrée la petite Kaylani dans un bras, se jette dans le vide. Dans sa chute, tête baissée, il fait un rapide mouvement de torsion de manière à tomber sur l’autre épaule pour protéger l’enfant.

     

    Une famille sauvée

    Entre–temps, à l’extérieur, les pompiers arrivés en renfort s’affairent. Ils ont éloigné Seionna et les enfants de la maison – désormais entièrement engloutie par les flammes. «Il semble qu’il y ait une petite fille de six ans et un homme de 23 ans à l’intérieur», crie un pompier à ses collègues qui s’empressent d’enfiler leur équipement.

    Nick surgit alors d’un côté de la maison, Kaylani dans les bras. «Prenez-la!», hurle-t-il. Il leur tend la petite en pleurs qui, hormis une coupure au bras, s’en sort miraculeusement indemne. Nick s’effondre sur le trottoir et réclame de l’oxygène. Alors qu’il peine à respirer et que la maison s’écroule, il n’a qu’une inquiétude en tête. «Est-ce que l’enfant va bien? demande-t-il aux pompiers. Dites-moi qu’elle va bien.» Toute la scène est filmée par les caméras de corps des pompiers.

     

    Un héros est né

    Nick ne conserve qu’un vague souvenir des minutes, des heures et des jours qui ont suivi. Il se souvient cependant du garrot appliqué sur son bras tailladé par les éclats de verre. Et d’avoir été conduit en fauteuil roulant jusqu’à l’ambulance. Mais il a tout oublié de l’hôpital où il a été pris en charge pour inhalation de fumée et brûlures au premier degré à la cheville, à la jambe et au bras.

     

    Collage Nick Bostic Sauve Une Famille Des Flammes(CI-CONTRE, EN HAUT, À GAUCHE, DANS LE SENS DES AIGUILLES D’UNE MONTRE) AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DES SERVICES DE POLICE DE LAFAYETTE; WXIN FOX59 NEWS; AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE LA FAMILLE BARRETT; DAVE BANGERT
     
     
    En haut, à gauche, dans le sens des aiguilles d’une montre: La caméra de corps d’un pompier montrant Nick et Kaylani; la maison détruite; Kaylani (ruban rouge) et sa famille; Nick en convalescence.

    Quand il s’est réveillé, il avait un tube enfoncé dans la gorge et Kara était à son chevet. Allongé dans son lit, il songeait aux événements. J’ai agi comme n’importe qui aurait agi dans les mêmes circonstances. Mais son histoire s’était déjà répandue hors de l’enceinte de l’hôpital. C’était un héros – le pizzaïolo qui est entré non pas une, mais deux fois dans une maison en flammes.

    Quelques jours plus tard, après que Nick a pu quitter l’hôpital, les Barrett l’ont invité avec Kara à dîner chez les gens qui les hébergent. David voulait remercier en personne celui qui avait sauvé sa famille.

    En voyant Nick Bostic, David a éclaté en sanglots. «Il s’est avancé vers moi les bras tendus et m’a serré très fort en me remerciant, dit le jeune homme. Il ne cessait de répéter: merci, merci.»

    Durant cette même semaine, les Barrett ont demandé à Nick de les accompagner à l’église. Ensuite, ils l’ont invité de nouveau à dîner, puis encore et encore. «J’ai le sentiment que Dieu nous a envoyé Nick pour nous aider, dit David. Et que Dieu m’utilise à mon tour pour que je l’aide.»

    Les Barrett se sont relevés lentement après avoir perdu tout ce qu’ils possédaient. La famille est plus unie depuis l’incendie qui l’a également rapprochée de la communauté. Tout le monde s’est serré les coudes pour les héberger et les nourrir en attendant qu’ils trouvent un nouveau toit.

    Se sentant courageuse et célèbre, Kaylani qui s’en est tirée avec une simple petite coupure au bras, est plus exubérante que jamais. «Elle se voit comme une héroïne, dit David. Dès qu’il y a des gens, elle leur dit: “J’étais dans ma maison en feu et j’ai sauté par la fenêtre.”»

    Aujourd’hui, les brûlures de Nick sont presque cicatrisées, même s’il sent ses yeux plus sensibles à la lumière depuis l’incendie. Les autres changements sont plus importants. Kara et lui attendent un enfant. Et la nouvelle de son héroïsme s’étant répandue, le compte GoFundMe lancé pour couvrir ses frais d’hospitalisation a explosé à quelque 600 000$, une somme qui pourrait changer sa vie.

    Nick en a offert une partie aux Barrett pour les aider à se remettre sur les rails, mais David est resté ferme. Cet argent est à lui. Il en aura besoin pour son enfant et ce cadeau lui servira à passer du temps avec sa famille. Il a présenté un conseiller financier au jeune homme.

    Quand Nick songe à ce qui s’est passé, il a l’impression d’avoir vécu à la fois une expérience de mort imminente et de renaissance. C’est bien lui qui est entré dans la maison en feu, mais c’est aussi lui qui a été sauvé.

    «J’ai eu droit à une seconde chance», confie-t-il. S’il lui est arrivé par le passé de se sentir idiot, ce qu’il éprouve aujourd’hui est très différent. La vie ne lui a pas fait de cadeau et l’avenir sera difficile. «Mais je commence à savoir ce que je veux», dit-il. Pour la première fois, il sait qu’il trouvera un moyen d’y arriver.

     

    Grand Reportage 5: Drame vécu: Se sauver des flammes

     

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    Apprendre à vivre sans mon jumeau

     

     

    Mon jumeau est décédé quand nous avions 18 ans. J’apprends enfin à vivre sans lui.

     

    Portrait de Ben Sosa Wright.
     
    «Avec Pablo à mes côtés, aucun nouvel environnement ne semblait insurmontable», écrit Ben Sosa Wright.

     

    «As-tu des frères et sœurs?»

    On me pose cette question tout le temps, de concert avec les autres civilités échangées lorsqu’on apprend à se connaître, comme «Où as-tu grandi?» ou «Qu’as-tu pensé de cette saison de Drag Race?» Il est logique que d’autres prennent ces interrogatoires avec légèreté. Après tout, ce sont des questions parfaitement normales, qui permettent de mieux cerner qui nous sommes.

    En 2014, mon frère jumeau, Pablo, est mort subitement d’un problème cardiaque à l’âge de 18 ans. Depuis ce jour, je ne sais plus comment répondre à cette question à propos de la fratrie. Même s’il n’y a que deux possibilités de réponse, en choisir une m’a toujours semblé être un mensonge. Et l’idée d’être parfaitement honnête me rendait malade.

    «Eh bien, j’ai eu un frère, mais je n’en ai plus.»

    J’ai déjà essayé d’employer cette réplique, mais je me retrouvais toujours à devoir ensuite consoler mon interlocuteur, comme si je lui avais fait subir une épreuve en lui annonçant que mon frère était mort. Avec le temps, j’ai plutôt choisi de compartimenter mon chagrin. Enfouir mes émotions ne fonctionnait pas plus d’un jour ou deux. Je ne pouvais tout simplement pas trouver les mots pour décrire mon frère ou la douleur que sa perte m’occasionnait. Mais dernièrement, je m’y essaie.

    Lorsqu’on grandit avec un jumeau, une partie de l’identité est ancrée dans le fait d’être la moitié d’une paire. Si les jumeaux passent autant de temps ensemble, c’est parce que c’est pratique: il peut être très pénible de tenter de se faire de nouveaux amis, alors avoir déjà un meilleur ami, un qui vit avec soi, est le meilleur filet de sécurité au monde.

     

    Des frères proches dès l’enfance

    Quand nous étions enfants, Pablo était tranquille et j’étais bruyant; il était bien élevé et j’avais des ennuis avec mes enseignants; tout le monde l’aimait tandis que je me faisais des ennemis en un rien de temps. Mais lorsque nous étions seuls tous les deux, ou bien en compagnie de nos amis proches ou de notre famille, nous étions quasiment la même personne. Nous jouions au sous-sol pendant des heures, à fabriquer des personnages d’animation en pâte à modeler tout en piquant des fous rires incontrôlables.

    Avoir quelqu’un qui vous connaît mieux que quiconque donne de l’assurance, car l’image de soi prend vie dans une autre personne. Avec Pablo à mes côtés, aucun nouvel environnement ne semblait insurmontable.

    Je me souviens d’un «midi pizza» dans notre école élémentaire de Toronto, quand nous avions 11 ans. Un camarade de classe embêtait Pablo – peut-être lui avait-il volé sa croûte de pizza ou son jus de fruits, je ne me souviens plus – et moi qui me pensais jusque-là au-dessus des comportements violents, je m’étais levé d’un bond pour m’en prendre au coupable. C’était de l’instinct à l’état pur. Mon sang n’a fait qu’un tour. Je devais être là pour Pablo. Le camarade de classe et moi nous sommes poussés et frappés jusqu’à ce qu’un enseignant nous sépare.

    Lorsque le directeur adjoint m’a demandé pourquoi j’avais agi de la sorte, j’ai soutenu son regard. «Je défendais mon frère. Non, je ne suis pas désolé. Oui, je le referais s’il le fallait.»

    J’ai tenu parole. J’ai défendu Pablo à chaque occasion qui se présentait. Peut-être défendais-je ainsi notre ego commun, mais il me semblait souvent que je protégeais réellement le bien-être de mon jumeau. Même s’il était l’aîné de trois minutes, il était plus petit et plus sujet aux persécutions.

    Mais Pablo prenait aussi soin de moi. Il a été la première personne à qui j’ai révélé mon homosexualité. Ce fut presque un non-événement – il n’a pas eu l’air surpris du tout et rien n’a changé entre nous. Plus tard, Pablo a affirmé avoir toujours su que j’étais gay, car lorsque nous jouions ensemble avec nos Lego Star Wars, je choisissais toujours les personnages de femmes fortes. Il accordait une immense valeur à ma décision de «jouer des femmes» et me donnait ainsi toujours le sentiment d’être cool.

    En entrant dans l’adolescence, Pablo est devenu une force de la nature; intelligent et bienveillant, il évoluait sereinement dans le monde et ne réclamait jamais d’attention. Il a découvert l’art et s’est mis à remplir d’innombrables carnets de croquis de créatures originales qu’il ne montrait qu’à ses proches. S’il vous laissait feuilleter ses carnets, vous vous sentiez choisi et hochiez la tête en l’écoutant décrire ce qui lui avait inspiré chaque héros ou monstre. Ses goûts en matière de musique, de films et de télévision étaient tout aussi intéressants qu’éclectiques. Il m’a fait découvrir The Shins, les films des frères Coen et Adventure Time – toutes des œuvres formatrices pour moi. Pablo était mon guide dans le monde de la fantasy et de la science-fiction; je me sens toujours connecté à lui lorsque je vois le logo Marvel ou Star Wars apparaître sur un écran de cinéma.

     

    Vivre sans son jumeau: Photo Famille Ben Et Pablo Sosa WrightAVEC LA PERMISSION DE BEN SOSA WRIGHT
     
     
    L’auteur (à gauche) et Pablo, en 2013.

    Après avoir obtenu notre diplôme du secondaire, j’ai déménagé à Montréal tandis que Pablo restait à Toronto. Il est mort un mois après mon départ pour l’université. J’ai entendu mon nom être prononcé sans le sien pour la première fois, et je me suis senti seul au monde. L’esperluette entre nos deux prénoms me manquait. Et quand on parlait de lui au passé, je sentais mon sang bouillir, à l’image de ce jour-là dans la cantine, comme si Pablo mourait un peu plus à chaque fois. J’ai pensé qu’il serait plus facile de n’être personne plutôt que de découvrir qui j’étais sans lui.

     

    Vivre avec le deuil

    Bien sûr, je devais continuer de vivre ma vie. J’ai découvert le stand-up à Montréal et me suis fait les dents sur la scène comique alternative de la ville, avant de rentrer à Toronto pour faire encore plus de stand-up. Au cours de ces années, j’étais, en toute objectivité, moi-même. Mais chaque nouvel ami, connaissance, professeur et comédien que je rencontrais ne se liait pas au moi que je connaissais, la personne qui était le jumeau de Pablo. Ils ne rencontraient qu’une ombre de cet homme.

    Ce sentiment de préservation de soi par le détachement émotionnel peut être familier pour les personnes queers qui ont caché leur identité dans leur jeunesse. Nier une part entière de son existence crée parfois un sentiment d’isolement et d’étouffement, mais cela peut aussi sembler plus simple. La mort de Pablo était trop douloureuse pour être évoquée. Lorsque j’en parlais, il me restait un arrière-goût de vulnérabilité si puissant que cacher ma peine paraissait être le choix plus facile.

    Chaque fois que je tentais de parler de lui, les mots sonnaient creux et insuffisants. Je voulais de nouveaux mots. Je me suis mis à haïr le jargon typique du deuil. Pablo me semblait plus grand que tout cela – c’est encore le cas aujourd’hui. (Sans vouloir me vanter, c’est probablement la personne la plus importante de toute l’histoire de l’humanité à mourir si jeune.) Désormais, je suis plutôt désolé pour ceux d’entre vous qui n’avez pas connu mon jumeau, et je tire de la joie à exploiter le pouvoir de la langue pour raconter qui il était.

    Aussi douloureux que soit le deuil de la relation que nous avions, et de la personne que j’étais avec lui, j’ai toujours eu le sentiment qu’avoir eu Pablo dans ma vie m’avait rendu meilleur. Sa ressemblance est dans mon ADN. Quand il se passe quelque chose d’amusant au travail ou sur la scène, je m’imagine le lui raconter. Je tente de perpétuer ces conversations invisibles parce que c’est ce qui me manque le plus dans le fait d’être un jumeau.
    Si je suis convaincu que le deuil, malheureusement, nous vieillit physiquement, l’expérience d’une perte dévastatrice nous mûrit aussi mentalement. Je ne supporte pas le mot «sagesse» – il devrait être réservé aux magiciens et aux bibliothécaires. Mais c’est vrai. J’ai gagné en sagesse grâce à Pablo.

    À certains moments, je rêve d’être une personne brisée mais lucide, capable de dévoiler ses traumatismes avec éloquence lors d’une soirée, bouleversant tous les convives au point de récolter des applaudissements. En essuyant une larme au coin de son œil, l’hôtesse déclarerait: «Ben, tu es tellement courageux et intelligent.» Mais je sais que ce n’est pas le dénouement dont j’ai réellement besoin.

    Je ne pense pas aspirer à me sentir un jour «en paix» avec la perte de Pablo, ou à tourner la page. Je ne comprends toujours pas pourquoi il est mort si jeune, et je ne pense pas le comprendre un jour. Mais cela devient plus facile avec le temps, et ma relation avec Pablo, comme toute relation, change avec moi. Je continue de mûrir et d’apprendre, et je trouve du réconfort dans le fait de pouvoir évoluer à travers les yeux de Pablo.

    © 2021, Ben Sosa Wright. Extrait de « My twin died when we were 18. I’m finally finding the words to talk about him », Xtra (11 mai 2021), xtramagazine.com

    Grand Reportage 5:  Apprendre à vivre sans mon jumeau 

    Grand Reportage 5:  Apprendre à vivre sans mon jumeau

     

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    Emportée par la Niagara

     

    Tombée dans la rivière Niagara, Sherry Vyverberg risquait de tomber dans les chutes ou d’être déchiquetée dans les pales tourbillonnantes des turbines de la centrale électrique.

     

    Illustration d'une jeune femme qui se noie dans la rivière NiagaraILLUSTRATION DE KAGAN MCLEOD

     

    Ce jour férié du Memorial Day, Sherry Vyverberg, 20 ans, a décidé de le passer aux chutes du Niagara avec des amis. Grande, les yeux bleus et de longs cheveux blonds, la jeune femme de Rochester, dans l’État de New York, vient de terminer son premier cycle universitaire en soins infirmiers. Comme elle doit être de retour à Rochester à 15h pour prendre son quart d’infirmière auxiliaire, elle a quitté la maison tôt, puis est passée chercher son petit ami, Keith Gandy, 22 ans, et leurs amis Greg Grant, également 22 ans, et Mike Jarocki, 26 ans.

    Quatre-vingt-dix minutes plus tard, la joyeuse petite bande arrive. La journée est fraîche et ensoleillée en ce lundi 30 mai 1983. À 8h15, ils longent la Niagara Parkway et se garent sur la rive gauche de la rivière, près de la centrale électrique abandonnée du réseau Toronto Power, à 580 mètres en amont des chutes. Keith, qui s’est cassé la cheville une semaine plus tôt, a la jambe dans le plâtre et marche avec des béquilles près des bâtiments de pierre de la vieille centrale en discutant avec ses deux amis. Sherry contourne pendant ce temps une rampe métallique près de l’usine désaffectée et atteint une corniche de béton de 60 centimètres de large qui surplombe l’eau. Pour avoir une meilleure vue sur la rivière, elle s’avance de quelques mètres.

    Du haut de son étroit perchoir, elle observe la rivière en aval, où la crête semi-circulaire de la chute du Fer à cheval prend toute la largeur du cours d’eau, de l’île de la Chèvre jusqu’à la rive canadienne. Chutant près de 60 mètres plus bas dans les violents tourbillons, l’énorme cascade tonne tel un orage assourdi en produisant un nuage perpétuel de gouttelettes. La rivière Niagara est l’une des plus spectaculaires au monde. Mais aussi l’une des plus dangereuses.

    Juste sous elle, six mètres plus bas, de l’eau s’échappe du canal à vannes de la vieille centrale. Sherry jette un œil en contrebas, mais elle perd soudain l’équilibre et bascule dans le vide. Elle est saisie par le choc d’une eau à 8ºC. La puissance du courant l’entraîne vers le fond. Elle parvient à remonter à la surface pour respirer, mais les eaux tourbillonnantes ne cessent de la tirer vers le bas.

    De la berge, Mike voit Sherry se pencher en avant puis chuter tête première. Je rêve, se dit-il. Il crie: «Elle est tombée à l’eau!» Avec Greg, il se précipite au bord de l’eau et se tient sur la rive, observant la scène avec impuissance. Pendant un instant, la tête de Sherry réapparaît à la surface, suivie de ses pieds, puis elle disparaît dans le courant. On ne peut rien faire, se dit Mike. Comment allons-nous annoncer cela à sa mère?

    De la route, Keith Gandy hurle: «Elle est plus bas!» Maintenant à 15 mètres de la berge, Sherry se trouve désormais à environ 500 mètres du sommet des chutes. Bonne skieuse et randonneuse, elle sait en revanche à peine nager. Elle pagaie avec ses mains pour tenter de rester en surface, mais sent le courant tirer sur ses jambes comme un puissant monstre aquatique. Je vais mourir. Je vais basculer dans les chutes.

    Greg escalade le talus et court le long de la berge tout en se déshabillant pour ne garder que ses sous-vêtements. Lorsqu’il parvient au niveau de Sherry, celle-ci se trouve à plus de 30 mètres du bord et toujours plus proche des chutes. Il se rue vers la rivière, plonge, mais face aux rapides torrentiels, il se rend compte qu’il n’arrivera à rien. Faisant demi-tour, il se replie péniblement sur la terre ferme.

     

    La police à la rescousse

    Au même moment, trois employés de la compagnie Canadian Niagara Power roulent sur la Niagara Parkway en direction de la centrale électrique Rankine, une usine en service située entre la vieille centrale et les chutes. Accompagné de John Marsh et Pete Quinlin, Joe Camisa, un charpentier de 55 ans, est au volant du camion.

    Monteurs de charpentes métalliques de métier, John et Pete sont de vieux amis. Pete, 40 ans, est marié et père de quatre enfants. Sec et nerveux, cheveux blond roux et moustache, John a 37 ans. Célibataire, il a toujours adoré les sports qui mettent sa rapidité et ses compétences au défi.

    Alors qu’ils passent devant la centrale de la Toronto Power, les trois hommes aperçoivent un type qui boitille vers eux tout en agitant frénétiquement les bras. C’est Keith, qui a abandonné ses béquilles et qui hurle: «Il y a une fille à l’eau!»

    L’équipe bondit hors du camion et se précipite vers la rivière. De l’allée d’asphalte qui court le long des berges, John finit par apercevoir une tête qui flotte comme un ballon à 45 mètres de la rive. «Elle est trop loin! crie-t-il à l’adresse de Pete. On n’arrivera jamais à la tirer de là.» Maudissant leur impuissance, les deux hommes observent les rapides emporter la jeune femme. Mais John ne renonce pas. Je préfère encore sauter à l’eau que de la voir basculer dans les chutes et passer le restant de mes jours à me demander ce que j’aurais dû faire.

    C’est alors qu’il se souvient du déversoir, un mur de béton courbe qui court juste sous la surface de la rivière depuis la centrale Rankine jusqu’à un point situé à 130 mètres de la berge. Le déversoir est conçu pour détourner une partie de l’eau qui coule vers les chutes et l’entraîner dans les turbines situées sous la centrale. Sherry se trouve maintenant tout près de l’extrémité du mur immergé.

    John a grandi le long de cette rivière. «Je pêche beaucoup par ici, dit-il à Pete. Là où elle se trouve, le courant se dirige vers les chutes. Mais si je lance ma ligne par ici, neuf fois sur dix elle dérive à l’intérieur du déversoir, en direction de notre centrale. Si elle ne passe pas au-dessus ce mur, elle dérivera vers la centrale.»

    En levant le regard sur la route, il aperçoit une voiture de police. «Il y a un policier. Arrête-le!» lance John. Pete agite furieusement les bras vers l’agent et hurle: «Appelez de l’aide. Il y a une fille à l’eau!»

    L’agent James Caddis, du service de police de la région de Niagara, appelle des secours. Mais Sherry ne se trouve plus qu’à 245 mètres du sommet des chutes, et le temps presse. Si le courant l’emporte par-dessus le déversoir, personne ne pourra la sauver. Si elle dérive en direction de la centrale, comme John l’espère, ils auront peut-être une brève occasion de l’attraper avant qu’elle ne soit entraînée dans les vannes d’entrée jusqu’aux turbines – où elle serait déchiquetée – ou par-dessus le canal à vannes à la base du déversoir et en direction des chutes.

    John et Pete ont si souvent travaillé ensemble qu’ils forment aussitôt une équipe. Pete attache ensemble deux morceaux de corde récupérés dans leur camion tout en filant vers le pont étroit qui court au-dessus du courant d’arrivée vers la centrale. Les deux hommes escaladent une clôture d’acier et s’élancent sur la passerelle. «Tenez bon! On va vous attraper!» crient-ils à Sherry qui, incapable de les entendre ou de les voir, flotte sans se débattre au gré du courant.

    «J’y vais, dit John. Tu es un père de famille. Ta place n’est pas ici.»

     

    Illustration d'un homme, un policier, qui sauve la jeune femme qui a tombé dans la rivière NiagaraILLUSTRATION DE KAGAN MCLEOD

     

    Il se déshabille, ne gardant que son jean, et Pete attache une extrémité de la corde à la rampe et l’autre autour de sa taille. John enjambe la rambarde, descend de trois mètres sur l’une des jetées de ciment qui soutiennent le petit pont, puis plonge vers Sherry qui dérive vers le déversoir. Quelque 20 mètres plus loin, au bout de sa corde, il ne parvient toujours pas à atteindre la jeune femme. En nageant aussi fort qu’il le peut pour faire du surplace, il attend que Sherry se rapproche encore, puis s’élance avec l’énergie du désespoir et l’agrippe par les cheveux, la tire vers lui, l’entoure de ses bras et lui enjoint de rester calme. Épuisée, Sherry ne parvient qu’à hoqueter: «Merci, mon Dieu… et merci à vous.»

    Sur la berge, tous retiennent leur souffle. Ils voient John attraper la jeune femme et l’entendent crier: «Tenez bien la corde et hissez-nous!» Joe et Mike et Pete hissent alors lentement John et Sherry hors de l’eau, contre une jetée située sous le pont.

    «Tenez bon! encourage John. Ne la laissez pas retomber dans l’eau. Je vais m’agripper à une barre d’acier, détacher la corde de ma taille et la passer autour de la sienne.»

    Une fois Sherry en sûreté, Pete renvoie la corde à John, qui la glisse par-dessus sa tête et ses épaules pour être hissé à son tour.

    Sherry est en état de choc après ces huit minutes d’horreur. Ses lèvres sont bleues. Son corps parcouru de tremblements est engourdi par le froid. Lorsque Mike la couvre de sa veste, elle éclate en sanglots. Mais elle est de nouveau sur ses pieds et marche vers la route en compagnie de l’agent Caddis lorsque l’ambulance arrive, la jeune femme est aussitôt enroulée dans des couvertures et embarquée sur une civière. Mike monte avec elle.
    En route vers l’hôpital général Greater Niagara, Sherry est encore très agitée. «Qui m’a sauvée? ne cesse-t-elle de demander. Quelqu’un d’autre est-il blessé?» Si quelqu’un a succombé en tentant de me sauver, je ne pourrai pas le supporter, pense-t-elle. Mike lui répète que tout le monde va bien.

     

    Saine et sauve

    À l’hôpital, Sherry est traitée pour état de choc et hypothermie, puis passe deux heures en observation et subit quelques examens. En dépit de cette épreuve, sa température et sa tension artérielle restent dans la norme; une radio confirme l’absence de fluides dans ses poumons.

    Elle se repose sur un lit lorsque l’agent Caddis revient pour prendre de ses nouvelles. Sherry demande le nom de son sauveteur. «John Marsh, répond l’agent. Et vous pouvez être très reconnaissante que cet homme se soit trouvé là.»

    John n’est pas resté longtemps sur les lieux et, si l’agent Caddis ne l’avait pas retenu, il serait reparti avec ses collègues dans leur camion sans révéler son identité.

    Avec humour et humilité, John a également tenté d’ignorer les éloges qui ont suivi, se demandant pourquoi on en faisait toute une histoire. Parmi les hommages rendus par des hommes politiques canadiens et américains, il a reçu une lettre du président Reagan louant son héroïsme. John Marsh a été décoré de plusieurs médailles et plaques, dont la médaille Carnegie et la médaille de bronze de la Royal Canadian Humane Association. Il a également été décoré de l’Étoile du courage par le gouverneur général.

    Comme l’a déclaré l’agent Caddis: «S’attacher à une corde pour plonger dans la rivière demandait déjà beaucoup de cran. Un homme sur mille aurait fait ce que John Marsh a accompli.»

    Cet article a été publié pour la première fois dans le numéro d’août 1984 de Sélection.

    Grand Reportage 5: Emportée par la Niagara

     

    Grand Reportage 5: Emportée par la Niagara

     

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