• Santé-Psycho 2: Je suis distraite, mais ce n'est pas (entièrement) de ma faute

     


    Je suis distraite, mais ce n'est pas (entièrement)

    de ma faute

     

    La quantité phénoménale d’informations qui nous assaille chaque jour rend presque impossible toute forme de concentration. Et si nous apprenions à gérer notre attention?


    Carol Toller du magazine Châtelaine

     

    Santé-Psycho 2:  Je suis distraite, mais ce n'est pas (entièrement) de ma faute


    Photo: Getty Images Betsie Van Der Meer

     


    J’ai un aveu à faire, et même mon mari n’est pas au courant. Il y a quelques années, j’ai réservé une chambre d’hôtel à Venise pour notre famille: trois lits, coincés dans une pièce minuscule, mais charmante, donnant directement sur la place Saint-Marc. Les commentaires sur TripAdvisor étaient enthousiastes. Je l’ai payée sur-le-champ, puis je suis passée à autre chose. Complètement.

    Au point où lorsque nous sommes arrivés à Venise et que mon mari m’a demandé où nous logions, je n’en avais pas la moindre idée. J’avais un vague souvenir d’avoir cherché sur le web, sans plus. Avais-je vraiment oublié de nous réserver une chambre?

    Vérification faite, aucune trace de cette réservation dans ma boîte de courriels. Alors, j’ai fait ce que toute personne sensée aurait fait à ma place: j’ai paniqué. Et j’ai trouvé en catastrophe une chambre à un prix ridiculement élevé… Quelques semaines plus tard, lorsque j’ai reçu mon relevé de carte de crédit, la réalité m’est tombée dessus comme une tonne de briques: j’avais bel et bien deux notes d’hôtel à Venise.

    Cette mésaventure, jumelée à des douzaines d’autres – moins désastreuses sur le plan financier – m’a convaincue qu’il me fallait dompter mon esprit -distrait et apprendre à rester concentrée, à «garder le focus» comme on dit. Mais comment y arriver entre les lunchs à préparer, les courriels à traiter, les rendez-vous à prendre pour mes parents vieillissants, la gestion des devoirs, la surveillance des activités des enfants sur le web, etc.? Parlant de web… Ah ben, regarde donc ça, un phoque qui lance une pieuvre au visage d’un kayakiste! Comme c’est drôle!

    Le multitâche, un mythe?
    Bienvenue dans l’ère de la distraction, où nous sommes bombardés d’informations par nos téléphones, nos portables et un nombre croissant de gadgets et d’appareils connectés. Même les électroménagers se mettent de la partie!

    Chaque jour, ce flot incessant de données, de mots et d’images qui nous inonde équivaut au contenu de 174 journaux, selon une étude publiée il y a quelques années. En fait, notre cerveau traite aujourd’hui cinq fois plus de renseignements qu’en 1986. Et le nombre d’échanges – par téléphone, courriel ou autre moyen électronique – augmente de 28 % chaque année.

    Bien des femmes tirent une certaine fierté de leur aptitude à jongler avec plusieurs tâches à la fois. Des études démontrent d’ailleurs que les femmes possèdent plus que les hommes la capacité de reprendre une besogne après avoir été distraites.

    Mais ce n’est pas une raison pour se péter les bretelles, selon Daniel Levitin, spécialiste en neurosciences de l’Université McGill. «Ni les hommes ni les femmes ne sont bons dans le multitâche, parce que ce concept n’existe tout simplement pas, dit-il. Notre cerveau ne fait pas plusieurs choses en même temps. Il saute rapidement d’une chose à l’autre.»

    Et ce processus aura toujours un prix. Quand nous papillonnons d’une occupation à une autre, notre cerveau se fatigue, notre concentration s’étiole et nous finissons par tomber sur le pilote automatique – d’où ma mésaventure hôtelière à Venise.

    Ne nous faisons pas d’illusion: le multi-tâche est là pour de bon. Reste donc à s’y adapter. Dans son plus récent ouvrage, Hyperfocus, le gourou canadien de la productivité Chris Bailey propose une approche novatrice pour aider les femmes – et les hommes – à atteindre un niveau optimal d’attention. Il suffit de faire alterner les tâches exigeant une grande concentration et celles qui en requièrent peu (faire une brassée de lavage, consacrer quelques minutes aux réseaux sociaux, observer les oiseaux par la fenêtre, etc.). Cela permettra au cerveau de faire ce qui lui est impossible lorsqu’on se concentre: passer en mode moins balisé, plus créatif. Qui sait, on trouvera peut-être ainsi des réponses à des problèmes qui semblaient jusque-là insolubles! «En ne portant attention à rien en particulier, en laissant mon esprit errer, j’ai découvert que je pouvais établir de meilleurs liens entre mes idées, tout en en générant de nouvelles», écrit Chris Bailey.

    Tentant, non? Je me suis récemment lancée dans l’écriture d’un roman, un terrain encore inexploré pour moi. Deux défis se sont présentés: parvenir à rester concentrée et exploiter ma créativité. J’ai essayé la technique de Chris Bailey pendant quelques semaines. Il recommande par exemple de se fixer un maximum de trois tâches importantes à faire au cours d’une journée (aller chez le coiffeur ne compte pas; écrire 1 000 mots d’un futur roman, oui). Voici comment j’ai appliqué ses principes.

    D’abord, mes trois tâches…
    Le premier matin, j’ai pensé à ce que je voulais accomplir ce jour-là. Rédiger 1 000 mots, méditer et organiser une visite chez ma mère, à Ottawa. Ensuite, j’ai ouvert mon ordinateur et j’ai entamé la partie la plus difficile de la technique Bailey: réduire au minimum les distractions.

    En travaillant à l’ordi, la plupart des gens ne peuvent se concentrer plus de 40 secondes sans que quelque chose vienne capter leur attention, selon la chercheuse américaine Gloria Mark, spécialiste des impacts sociaux des médias numériques. Et après chaque interruption, ils mettent en moyenne 23 minutes à retrouver le niveau de concentration d’avant la pause. Conclusion: même si l’on croit que le multi-tâche permet d’être efficace, la réalité est que chacune des tâches accomplies requiert alors 50 % plus de temps.

    Je n’avais donc pas le choix, je devais éteindre mon téléphone, désactiver les notifications de mon courrier électronique, faire taire Twitter… Tout un défi! Qui s’est soldé par un demi-échec, car je n’ai pas réussi à couper le cordon qui me lie à mon cellulaire. J’aimerais pouvoir dire que c’est parce que j’attendais un appel important, mais ce serait mentir. Je voulais simplement garder le contact avec mes proches.

    Trois heures plus tard, j’avais écrit 254 mots, envoyé huit textos, regardé cinq vidéos d’Aretha Franklin et découvert que deux de mes amies trouvaient que les femmes avaient été trop dures envers Harvey Weinstein. La méditation et la planification de ma visite à Ottawa? Pas commencées. Après tout, deux de mes copines avaient besoin qu’on leur remette les pendules à l’heure.

    Meilleure chance… demain
    Le deuxième jour, j’ai pris la chose plus au sérieux. Je me suis fixé trois objectifs (les mêmes que la journée précédente, de toute évidence), puis j’ai fermé ma messagerie électronique, désactivé toutes mes notifications et ajouté deux nouvelles règles qui ont fait une énorme différence. J’ai programmé dans mon ordi une alerte qui sonne une fois l’heure pour me rappeler de revenir à mes tâches importantes, au cas où je me serais laissé aller à la distraction. J’ai aussi implanté la «règle des 20 secondes».

    La plupart d’entre nous cèdent à la tentation si l’objet de leur désir est à portée de main. Mais si on s’efforce de lui résister pendant 20 petites secondes, il devient tout à coup beaucoup moins attirant. Ainsi, en laissant son téléphone dans un tiroir de la commode ou dans une pièce située à l’étage, on sera beaucoup moins porté à le consulter.

    J’ai suivi ce conseil et le résultat obtenu m’a étonnée. Sans distractions numériques, mes idées se sont succédé de façon régulière et ininterrompue, comme les wagons d’un train. Même quand mon esprit s’égarait, il m’était plus facile de le ramener sur les rails. Avec le soutien occasionnel, je le concède, de l’alerte programmée dans mon ordi.

    Encouragée, j’ai choisi de faire fi d’un autre précepte de Chris Bailey: prendre une pause toutes les 90 minutes, même si on est en train de créer un chef-d’œuvre. Selon lui, ces pauses aident le cerveau à se ressourcer. Travailler sans interruption pendant des heures peut mener à des résultats moins concluants et hypothéquer nos performances intellectuelles.

    Au bout du jour 2, j’avais écrit des heures durant. Incidemment, sur ma production de 680 mots, c’étaient les passages composés en début de journée qui étaient les meilleurs…

    Une femme apprend!
    Troisième jour. Après avoir éteint toute distraction numérique, programmé l’alerte sur mon ordi et réussi à me plonger dans un état d’hyperconcentration, je me suis obligée à prendre une pause après 90 minutes de travail. J’aurais volontiers continué à réfléchir sur la façon de dénouer une impasse dans le cours de mon roman, mais j’ai décidé d’obéir à un autre conseil de Bailey et d’essayer la «fragmentation focale».

    Pendant les pauses, on laisse errer ses pensées. Pour ma part, j’ai enfourché mon vélo et je suis partie en balade. Sans but. Des images de mon roman apparaissaient dans ma tête, en même temps que des idées disparates, comme le rendez-vous chez le coiffeur, la réunion de parents à l’école, etc. Puis, l’éclair de génie est venu. Et si, ai-je pensé, la petite fille n’aimait pas vraiment les éléphants, en fin de compte? Bon, je suis consciente que cette idée ne bousculera pas le cours de l’histoire de l’humanité. Mais pour moi et mon roman, c’était un véritable moment «eurêka»!

    Je suis aussitôt rentrée à la maison pour m’atteler à la tâche pour une autre période de 90 minutes. Pour plus que ça, en fait, je l’avoue, car il m’est très difficile de m’astreindre à cette règle. Quand je suis sur une lancée, j’ai toujours envie de continuer. Bailey, lui, ne déroge pas à ses lois.

    Lorsque je l’ai interviewé, c’était un lundi, jour typiquement fou pour le commun des mortels. Il m’a semblé très détendu. «Aujourd’hui, j’ai planifié regarder des séries sur Netflix, a-t-il laissé tomber. Et d’aller au gym. C’est un jour de relaxation.»

    En entendant ces mots, j’ai décidé de m’en tenir à son programme.

    Plus tard, cette semaine-là, je suis allée voir ma mère à Ottawa. Pendant que nous attendions pour l’un de ses rendez-vous médicaux, j’ai été tentée de sortir mon téléphone cellulaire. Mais j’ai plutôt essayé autre chose: jaser avec maman. Voici ce que j’en ai retenu: ma mère adore la mayonnaise, mais se demande si elle devrait en manger; elle aime prendre les transports en commun; elle s’inquiète pour une amie qu’elle croit prise dans une secte religieuse. Je me rappelle que c’est elle qui a amorcé cette conversation, en s’excusant de l’attente qu’elle m’imposait. «J’imagine qu’on va devoir être à l’ancienne mode et se parler», m’a-t-elle dit.

    Cela paraît peut-être anodin, mais j’ai eu l’impression que, pour la première fois depuis des années, j’ai vraiment écouté ma mère. J’ai aussi senti que je pouvais désormais réserver une chambre d’hôtel à l’autre bout de la planète, et que, cette fois, j’allais me souvenir de l’avoir fait.

    Comment réduire les distractions


    Établir des objectifs précis
    Des tâches comme «aller au gym» peuvent facilement être balayées sous le tapis. Par contre, «aller au gym après le lunch» risque davantage d’être respecté.

    Faire un échange
    Lors d’une sortie entre copines, on peut apporter son téléphone (pour être capable de répondre à un appel urgent, par exemple). Mais on l’échange avec une amie. Ainsi, si on a besoin de faire un appel, ce sera avec le téléphone d’une autre. On y pensera à deux fois…

    Aller au plus court
    On ne consacre pas trop d’énergie à rédiger un courriel. La règle d’or: cinq phrases maximum.

    En garder pour demain
    Si une tâche nous emballe, on ne la termine pas. On sera ainsi plus motivée à se remettre au travail le lendemain.

    Laisser son téléphone de côté
    Ne pas consulter son téléphone – dans une file d’attente, par exemple – libère de la place pour la «fragmentation focale». On laisse son esprit errer plutôt que de l’embourber avec de nouvelles informations.

    Respirer profondément
    La méditation – fermer les yeux et se concentrer sur sa respiration – a un effet tonifiant sur l’esprit et sur la concentration.

     

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