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    Le mannequinat taille plus : entrevue avec

    Precious Lee et Tara Lynn

     


    Quand je les ai aperçues en entrant dans le studio, j’ai eu le souffle coupé. Elles sont encore plus sublimes qu’en photo. Elles sont souriantes et chaleureuses, et surtout, elles sont inspirées et inspirantes. Entretien avec Precious Lee et Tara Lynn.


    Joanie Pietracupa du magazine Châtelaine

     

    Ce n’est un secret pour personne : j’aime admirer les belles femmes, surtout si elles ont des courbes voluptueuses et que je peux m’identifier à elles. Et je suis pas mal certaine de ne pas être la seule à me sentir inspirée par leur silhouette enrobée, leur sex-appeal assumé et leur confiance débordante. Voilà pourquoi je trouve aussi important que les mannequins taille plus occupent de plus en plus de place dans les médias d’ici et d’ailleurs. Et pourquoi j’ai répondu un «ouiii!» enthousiaste lorsqu’on m’a proposé d’interviewer les top-modèles Precious Lee et Tara Lynn lors d’une séance photo pour la campagne de publicité printanière d’Addition Elle.

     

    Société 2:  Le mannequinat taille plus : entrevue avec Precious Lee et Tara Lynn

    Photo: Tara Lynn/Addition Elle

     


    Vous avez récemment défilé pour Addition Elle à la Semaine de mode de New York. Comment avez-vous vécu cette expérience?


    Precious Lee Je me suis sentie tellement bien dans ma peau et heureuse d’être là! J’avais l’impression d’être à ma place et de faire une réelle différence.


    Tara Lynn J’ai toujours adoré parader sur les passerelles. C’était particulièrement réjouissant de le faire en sous-vêtements, aux côtés d’autres jolies filles taille plus, avec mes bourrelets et ma cellulite bien à la vue de tous! (Rires) On s’est entraidées, encouragées, soutenues… C’était à la fois inspirant et énergisant!

     

     

    Société 2:  Le mannequinat taille plus : entrevue avec Precious Lee et Tara Lynn

    Photo: Precious Lee/Fashion Bomb Daily Style Magazine

     


    Que pensez-vous du mouvement pro-diversité qui gagne en ampleur?


    Tara Lynn On attendait ce mouvement depuis très longtemps, nous, les femmes rondes. Et cette «révolution taille plus» sera là pour rester. Enfin, je l’espère de tout cœur!


    Precious Lee Je pense moi aussi que beaucoup de filles souhaitaient ardemment ce tournant. Moi la première! Je me sens honorée de faire partie d’une telle révolution.


    Croyez-vous qu’on a encore beaucoup de chemin à faire?


    Precious Lee Assurément! Cependant, je crois que beaucoup de choses ont changé en peu de temps. Ça me donne donc de l’espoir pour la suite.


    Tara Lynn Oui, évidemment! Les femmes rondes sont encore exclues de la majorité des discussions sur la diversité corporelle. Et puis il y a cette idée selon laquelle tous les mannequins grande taille devraient se ressembler, un peu comme les top-modèles de taille «ordinaire». On ne devrait pas être trop grosses ni trop minces, nos courbes devraient être bien proportionnées et notre taille effilée… Ce n’est pas aussi facile qu’on le croit d’entrer dans le moule de la parfaite femme ronde!

     

     

    Société 2:  Le mannequinat taille plus : entrevue avec Precious Lee et Tara Lynn

    Photo: Tara Lynn/Fashion Gone Rogue


    Avez-vous toujours été aussi sûres de vous?


    Tara Lynn Oh non! J’étais très consciente de ma différence quand j’étais enfant. C’est dans ma jeune vingtaine que j’ai enfin appris à accepter mon corps tel qu’il est. J’ai réalisé que c’est la seule enveloppe corporelle que j’ai, alors aussi bien apprendre à l’aimer, non? J’ai aussi commencé à m’entraîner, ce qui a contribué à me faire me sentir mieux dans ma peau, à me rendre plus forte et plus musclée… C’est d’ailleurs à ce moment-là que j’ai décidé de prendre contact avec une agence de mannequins et de tenter ma chance comme top-modèle taille plus. Mon conseil aux jeunes filles et aux femmes qui manquent d’estime d’elles-mêmes: trouvez ce qui vous rend uniques sur le plan physique et cherchez à mettre ces atouts en valeur chaque jour.


    Precious Lee Incroyable mais vrai, j’ai toujours été hyper confiante. Mes parents, des gens remarquables, m’ont appris à avoir une bonne estime de moi et à m’aimer telle que je suis. Ils m’ont aussi enseigné à ne pas entretenir de pensées négatives par rapport à la vie, aux autres ou à moi-même. Ça a changé ma façon de voir le monde – et de me percevoir dans ce monde.

     

     

    Société 2:  Le mannequinat taille plus : entrevue avec Precious Lee et Tara Lynn

    Photo: Precious Lee/Addition Elle


    Comment gérez-vous les critiques à votre égard?


    Tara Lynn Il y aura toujours des fans un peu trop zélés qui se permettront de nous faire savoir sur les réseaux sociaux qu’on a pris ou qu’on a perdu un peu trop de poids à leur goût, ou alors qu’ils ne nous trouvent pas jolies sur telle ou telle photo. Mais je m’en fous. Je me sens belle et bien dans ma peau, et j’ai une grande confiance en moi. C’est tout ce qui compte à mes yeux.


    Precious Lee J’ai la chance d’avoir une tonne d’abonnés Instagram hyper fidèles et solidaires. Ils me parlent comme si on était de grands amis ou qu’on se connaissait depuis toujours; j’adore ça! Autrement, j’essaie très fort de ne pas me laisser affecter par les critiques.


    Psitt! Suivez-les sur Instagram @preciousleexoxo et @taralynn!

     

     

    Société 2:  Le mannequinat taille plus : entrevue avec Precious Lee et Tara Lynn

     

     

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    Partir sans mot dire

     


    Geneviève Pettersen signe une chronique sur le décès de sa grand-mère.

    Geneviève Pettersen du magazine Châtelaine

     

    Je suis passée devant le foyer de vieux de ma grand-mère un peu plus tôt ce mois-ci. Ça fait un an et demi qu’elle est morte. Elle habitait dans un CHSLD à Québec. À Charlesbourg, si vous voulez vraiment savoir. Dans ma tête, l’endroit où elle a vécu les dernières années de sa vie est l’un des plus déprimants sur Terre. On arrivait devant une portée barrée. Pour se faire ouvrir, on devait dire dans l’interphone le nom de la personne qu’on venait visiter. Ça grichait. Fallait se reprendre à deux fois, parfois trois, pour que l’infirmière de garde comprenne qui on était venu voir. Jacqueline Blanchette. C’était son nom.

     

    On entrait par la cafétéria. Je faisais bien attention de ne jamais y aller à l’heure des repas. J’étais incapable de sentir et de voir les plats qu’on servait aux locataires. Surtout, j’avais peur que Mamie m’invite à dîner avec elle. Impossible pour moi d’avaler un pâté au saumon sans sel ou de goûter aux spaghettis trop cuits. Je n’avais pas envie de discuter avec ses voisines et voisins de table, de leur répéter pour la énième fois ce que je faisais dans la vie et de répondre à leurs 32 questions sur mes enfants.

     

    Société 2:  Partir sans mot dire

    Photo: Getty Images


    Par contre, j’aimais bien aller voir les perruches dans le petit salon juste à côté de la salle à manger. On s’assoyait là ensemble, ma grand-mère et moi, et on essayait de les faire sortir de leur cage. La jaune restait cachée au fond et voulait nous mordre dès qu’on tentait de la prendre. La bleue, elle, était plus docile. Elle se rebiffait au début mais, invariablement, elle finissait par grimper sur mon index tendu. Je pouvais ensuite la sortir et la flatter. Je la laissais même se promener sur mon épaule. Mais pas Jacqueline. Elle avait peur que l’oiseau lui fasse caca dessus.


    Après, on allait dans son appartement. Il fallait prendre le corridor, monter dans l’ascenseur, appuyer sur le bouton du deuxième étage et passer devant les chambres des autres pensionnaires. Mamie en profitait pour me révéler tous leurs secrets: madame Unetelle dégage une odeur pestilentielle parce qu’elle a eu une stomie et que son sac est toujours mal installé, monsieur Chose s’est fait voler ses alliances par le nouveau préposé aux bénéficiaires, la famille du couple installé dans l’appartement du fond ne vient jamais le visiter, même pas à Noël.


    Je marchais dans le corridor et plus j’avançais, plus j’étouffais. Je souriais à ma grand-mère tout en priant pour ne jamais finir mes jours dans un endroit comme celui-là. Pas qu’on s’occupait mal d’elle ou que c’était laid ou sale. J’angoissais parce que je savais que tout ce babillage, cette façon qu’elle avait de jaser de la pluie et du beau temps n’était qu’une manière d’éviter le vrai sujet, celui dont on aurait dû parler, celui de sa mort imminente.


    On l’avait installée au CHSLD pour qu’elle puisse mourir «en sécurité». Tout le monde le savait, elle en particulier. Pourtant, elle n’abordait jamais le sujet. Moi non plus. Même la dernière fois que j’ai discuté avec elle, on n’a rien dit. C’était au téléphone. Elle était à l’hôpital et il ne lui restait que quelques heures à vivre. Elle m’a appelée, m’a raconté qu’il faisait beau à Québec et m’a demandé si l’enfant que je portais était une fille ou un garçon. Je l’ignorais à ce moment. Je lui ai répondu que, d’après mon intuition, c’était une fille. Je me suis trompée. Elle ne le saura jamais. Elle est morte le lendemain matin. Elle est décédée en parlant de la canicule qu’annonçait MétéoMédia pour la Saint-Jean-Baptiste cette année-là. Elle est partie en déclarant que le paquet de 12 rouleaux de papier de toilette était en spécial le lendemain chez Jean Coutu. Elle a fermé les yeux en regardant Denis Lévesque dans sa chambre d’hôpital. De sa mort, elle n’a jamais rien dit. Et moi non plus.

     

     

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    Offrir du bonheur aux enfants

     

    Depuis 20 ans, Opération Père Noël crée un Noël heureux pour 10 000 petits Québécois défavorisés ou pris en charge par la DPJ. Incursion dans cette campagne qui offre du bonheur aux enfants.

     

    Par Émilie Dupras du magazine Châtelaine

     

     

    Société 2:  Offrir du bonheur aux enfants

    Matis Tagl. Photo: Charles Briand

     

    Je revenais du boulot avec mille et un soucis en tête. Que servir au réveillon ? Que donner au prof de ma fille pour Noël ? Et à mon mec, carte-cadeau ou série DVD ? Dans mon courrier, entre deux comptes à payer (encore), j’ai aperçu une enveloppe inhabituelle. Ah oui, j’avais oublié que j’avais accepté de jouer au père Noël auprès d’un enfant dans le besoin.


    L’enveloppe contenait deux lettres adressées au père Noël. Dans l’une, Sienna, huit ans, avait dessiné le cadeau qu’elle souhaitait recevoir cette année : un habit de neige, un foulard et des mitaines. Dans l’autre, Saheer, six ans, avait représenté, lui, un superhéros, un bâton de hockey et une paire de bottes. Mes préoccupations sont soudain devenues futiles. Ces deux lettres-là témoignaient de toute la misère et de la détresse que vivent des milliers de petits Québécois.


    Ni P.K. ni Céline


    C’est pour eux qu’Opération Père Noël a été créée il y a 21 ans. La mission de l’organisme tient dans une idée simple : le soir de Noël, faire briller les yeux d’enfants provenant de familles défavorisées et grandement désorganisées. Offrir un petit miracle à des jeunes pris en charge par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), placés en centre jeunesse et qui passent parfois le réveillon en foyer d’accueil. Et à de plus en plus d’enfants issus de l’immigration aussi. L’an dernier, Opération Père Noël a remis des cadeaux à 9 766 enfants. C’est presque la moitié du Centre Bell ! Ce formidable tour de magie, on ne le doit ni à P.K. Subban ni à Céline Dion, mais à un couple d’intervenants sociaux de la région de Montréal.


    En 1995, Normand Brault est éducateur en foyer de groupe dans un centre jeunesse de Verdun quand, un soir de décembre, Marie-Ève, sept ans, fait une grosse crise : elle s’apprête à passer son premier Noël loin de chez elle et craint que le père Noël ne la trouve pas… « Mais la crise était beaucoup plus profonde, dit-il. Elle exprimait l’abandon, l’insécurité, la peur. J’ai alors compris que le père Noël pouvait être un canalisateur. »


    Sa femme, Thérèse, et lui ont décidé de donner un cadeau de Noël à Marie-Ève et à tous les autres pensionnaires du foyer de groupe. Ils ont payé les achats de leur poche, sollicité parents, collègues et amis. Le grand soir venu, l’intervenant s’est déguisé en vieillard à barbe blanche pour remettre un cadeau à 29 enfants. Opération Père Noël était née. L’année suivante, ils ont rejoint 59 petits, puis 200, puis 400… L’initiative a fait boule de neige et s’est étendue à d’autres centres jeunesse, à des CLSC, à des familles d’accueil et à des écoles de quartiers défavorisés.


    « C’est beaucoup de bonheur », dit Thérèse Guillemette, directrice des opérations et grande chef d’orchestre de cette symphonie. Comme son mari, la psycho­éducatrice de formation a côtoyé, dans le cadre de sa profession, les adolescentes les plus maganées de Montréal, anorexiques, suicidaires, toxicomanes ou abusées. À 63 ans, nouvellement retraitée, elle se consacre à plein temps à Opération Père Noël, son bébé. « J’ai démêlé bien des crises, dit-elle. Mais trouver des cadeaux et les donner, c’est concret. Je me retrousse les manches et je m’investis à fond. »


    Car c’est beaucoup, beaucoup de boulot…

     

    Société 2:  Offrir du bonheur aux enfants

    Les fondateurs d’Opération Père Noël, Normand Brault et Thérèse Guillemette. Photo: Charles Briand


    Le pôle Nord à Laval


    Pour Thérèse Guillemette, Opération Père Noël dure toute l’année. Elle répond à des courriels même l’été au bord de sa piscine. Dès le début d’octobre, huit adjointes viennent lui prêter main-forte. Puis une petite armée de 125 bénévoles arrive en renfort de la mi-novembre jusqu’à Noël.


    Chaque fois, une impressionnante logistique se met en place, il faut voir à tout : s’occuper des communications web, alimenter les réseaux sociaux, dénicher le mobilier, les étagères et les boîtes, louer les camions, relancer un à un les donateurs des années précédentes, puis les jumeler à un enfant… Heureusement, la Fondation Villa Notre-Dame-de-Grâce verse chaque année un montant substantiel pour aider à couvrir les frais administratifs.


    « Opération Père Noël a commencé chez nous, raconte Émilie Brault, 27 ans, la fille de Thérèse et Normand. Il y avait des cadeaux jusqu’au plafond. On longeait les murs tellement la maison était pleine. »


    Aujourd’hui, ce ne serait plus possible. Aussi, dès la mi-novembre, toute l’organisation doit déménager dans un centre névralgique, qu’un bon samaritain lui aura prêté, un entrepôt d’environ 10 000 pi2 qui doit être situé à Laval. « Depuis six ans, période où nous avons eu besoin d’un espace accru, il n’a jamais fallu débourser un sou, dit Thérèse. C’est notre plus gros défi : trouver chaque année un très grand local qui sera libre pendant 45 jours. »


    C’est là que sont stockés – selon nos estimations – quelque 28 000 paquets colorés destinés aux enfants de Montréal, mais aussi de Québec, de la Gaspésie, du Saguenay, de l’Estrie, du Bas-Saint-Laurent et même du Nunavik.


    Comment ça fonctionne ?


    Ce sont les intervenants ou les travailleurs sociaux qui repèrent les jeunes susceptibles de profiter d’Opération Père Noël. Chaque enfant est invité à écrire une lettre au père Noël. Ils émettent des souhaits de cadeaux, mais ils racontent souvent leurs problèmes, leurs difficultés au quotidien et même les abus qu’ils subissent. « Pour eux, le père Noël est bien plus qu’un livreur de cadeaux, dit Normand Brault. Leur lettre devient un outil de guérison. Ils demandent parfois une poupée, mais on leur dit qu’ils peuvent aussi demander la lune. »


    En échange, un donateur anonyme jumelé à l’enfant lui achète l’un ou tous les cadeaux de sa liste, les emballe et les accompagne d’une lettre de réponse. « Il s’agit de leur écrire des mots rassurants, poursuit Normand Brault, de leur dire qu’ils méritent ce présent, qu’on les aime et qu’on pense à eux. Des choses qu’ils entendent rarement, sinon jamais. »

     

    Société 2:  Offrir du bonheur aux enfants

    Photo: Charles Briand


    Moi, mère Noël…


    Ma grande fille de sept ans et moi avons écumé les magasins pour dénicher tout ce que Sienna et Saheer avaient demandé dans leurs lettres. Des amis ont bonifié nos lots. Jamais je n’ai emballé de cadeau avec autant de soin ! Pas évident d’offrir un présent à quelqu’un qu’on ne connaît pas. Est-ce que l’habit de neige de Sienna était trop petit ? La tuque, de la bonne couleur ? Saheer a-t-il aimé son bâton de hockey ? Je ne le saurai jamais.


    Et les messages que j’ai composés pour eux en tant que mère Noël. Comment combler ce vide ? Le 25 décembre n’est qu’une journée dans l’année et Opération Père Noël, un pansement sur un bien grand bobo.


    Je leur ai écrit que je les trouvais sages et qu’ils pouvaient penser à moi quand la vie serait difficile. Avec un « Ho ! ho ! ho ! » bien senti. Mais j’aurais voulu y transposer toute ma compassion. J’espérais que leur cœur lise entre mes lignes et que, à défaut de les serrer dans mes bras, je puisse leur transmettre tout l’amour qu’on ne leur a jamais donné, leur dire combien ils sont appréciés et que moi, la mère Noël, je ne les oublierais jamais.


    Bien sûr, les enfants veulent des jouets, mais aussi, souvent, des habits de neige et des bottes. Thérèse se souvient de lettres marquantes. « Il y a des enfants qui rêvent de nourriture sous le sapin, raconte-t-elle. Ou d’un matelas. Un jeune homme souhaitait un arrangement floral pour les funérailles de sa mère. Une adolescente désirait un bracelet aux couleurs de la fierté gaie, car sa famille, désapprouvant son orientation sexuelle, lui avait confisqué le sien. Même qu’une jeune fille du Nunavik espérait recevoir du shampooing. Un autre garçon voulait une pierre tombale pour sa mère, qui venait de mourir – et il l’a eue… »


    Car, ici, on réalise tous les rêves ; il n’est jamais arrivé qu’un enfant ne reçoive pas son cadeau. Grâce entre autres aux réseaux sociaux, bien utiles pour combler les demandes spéciales plus coûteuses comme de l’équipement sportif ou des ordinateurs destinés à des enfants hospitalisés, handicapés intellectuels ou physiques.


    « Ce que j’ai découvert avec le temps, dit Normand Brault, c’est la réaction des adultes, au-delà du plaisir qu’on apporte aux jeunes. D’abord, ils sont très émus par la lettre au père Noël. Et ils ont l’impression de réparer quelque chose dans l’injustice du monde. Le geste enrichit donc les uns et les autres. » Un donateur anonyme offre d’ailleurs 10 000 $ de cadeaux… chaque année !


    À la mi-décembre, l’entrepôt est une ruche. C’est la période la plus occupée. Il y a des emballeurs qui se chargent des cadeaux spéciaux et des dons de dernière minute, des téléphonistes qui continuent de jumeler des enfants et des pères Noël, des gens qui entrent et sortent pour livrer leurs surprises, et des gros bras qui transportent la marchandise des étagères jusqu’aux camions de livraison. On sert du café et des beignes, et la tuque à pompon est de rigueur.

     

    Société 2:  Offrir du bonheur aux enfants

    Émilie, la fille de Normand et Thérèse. Photo: Charles Briand


    Le vœu de père Noël et mère Noël


    Ils ont eu beau s’incorporer il y a quelques années, offrir des reçus officiels de dons, s’informatiser et se moderniser, Thérèse, Normand et leurs 125 bénévoles peinent à suffire à la tâche : « On approche du seuil critique de 10 000 enfants, se désole Thérèse Guillemette. On ne peut plus grossir ; nous n’avons ni l’espace ni les reins assez solides. »


    Thérèse et Normand ne demandent qu’une chose pour Noël : la pérennité. « Que notre initiative se poursuive, et surtout qu’elle se répande partout au Québec, dit-elle. Mais ce n’est pas tout le monde qui veut se lancer dans une telle aventure. »


    Son mari ajoute : « Vendre une cause comme la nôtre, faire du démarchage et trouver des commandites, c’est long et ça nécessite d’y consacrer du temps 12 mois par année… »


    Heureusement, il y a une relève : leur fille Émilie, qui n’a pas souvenir d’un Noël sans cette chaîne de bonté autour d’elle. « Je ne pourrais jamais vivre les fêtes autrement. C’est notre vie maintenant. » Diplômée des HEC, elle termine une formation à l’Université McGill. « Pas question de laisser tomber, dit-elle. Mes parents savent qu’ils pourront toujours compter sur moi. »


    Le soir venu, j’aperçois mes présents empilés dans un camion. Une de mes boîtes s’en va rejoindre un petit garçon dans Parc-Extension. L’autre se dirige vers l’aéroport Montréal-Trudeau en direction du Nunavik.


    Peut-être bien que mon cadeau s’envole dans un avion au nez rouge…


    Que votre Noël soit joyeux!

     

     

    Société 2:  Offrir du bonheur aux enfants

    Robert Verville et Denis Tremblay, des lutins en camion. Photo: Charles Briand

     


    Opération Père Noël en 2015

    9 766 enfants touchés
    3 451 étaient suivis par la Direction de la protection de la jeunesse, certains dans leur famille, d’autres en centre jeunesse.
    2 968 ont été repérés par les CLSC.
    3 347 fréquentaient une école d’un quartier défavorisé ou un centre de réadaptation.
    D’autres étaient demandeurs d’asile.

     

    Société 2:  Offrir du bonheur aux enfants

     

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    L’INCULTURE DU VIOL

     

     

    Avant de vous parler de cette inculture du viol qu’on essaie de nous présenter comme une culture, en cette période de campagne américaine portant grandement sur les inconduites sexuelles, j’ai envie de rappeler l’histoire de Joycelyn Elders, première femme noire à atteindre l’un des postes les plus prestigieux de l’administration américaine : l’équivalent de notre ministre fédéral de la Santé. 

     

    Choisie et nommée par Bill Clinton en 1994, Joycelyn Elders affirmait quelques mois plus tard à San Francisco, lors de la journée mondiale sur le sida, que la masturbation faisait partie de la nature humaine et devrait être abordée dans les cours d’éducation sexuelle à l’école. Des propos bien sensés qui ne tardèrent pourtant pas à provoquer une levée de boucliers dans les milieux conservateurs de cette Amérique bourrée de contradictions.

     

    Désireux d’éteindre le feu, l’administration Clinton décida de la congédier, sans savoir que la revanche était déjà en route. La pauvre Joycelyn était chez elle quand les télévisions du monde entier parlaient de la relation illicite entre Bill Clinton et Monica Lewinsky. On déblatérait sur la fameuse souillure de Bill trouvée sur un vêtement de Monica alors qu’il trompait sa femme dans les recoins de la Maison-Blanche. Le président qui avait joué le jeu des puritains traîne aujourd’hui une tache dans son dossier. Une frasque extraconjugale que Donald Trump, prédateur sexuel présumé, n’hésite pas à exploiter pour faire injustement mal à la mauvaise personne.

     

    Si je vous raconte cette saga, c’est que tout comme Mme Elders, je crois que lutter contre cette inculture du viol de plus en plus décriée nécessite le retour à des cours d’éducation sexuelle décomplexés pour les ados, et même pour les élèves à la fin du primaire.

     

    Pourquoi pas un cours d’éthique et de culture sexuelle pour contrer de façon durable les effets délétères de l’internet sur une certaine jeunesse ?

     

    Ce serait le rendez-vous idéal pour faire comprendre à tous qu’un non n’est pas le début d’un oui potentiel pour celui qui sait insister, mais plutôt une ligne bien claire qui sépare les séducteurs des criminels.

     

    Qu’est-ce qui est mieux ? Enseigner aux jeunes la vérité scientifique, la mesure et le respect, ou laisser l’internet leur faire croire que les femmes éprouvent un plaisir fou en vociférant en moins de trente secondes dans une position qui favorise surtout le plaisir de l’homme ?

     

    Si la maison ne peut t’éduquer, la jungle finit souvent par s’en charger. Et dans la touffue jungle de la toile, même les cours 101 sur la sexualité sont matière à pornographie extrême. Ce qui décuple les risques de dérive des étudiants, car celui qui toujours nage dans un univers où le gang bang, le viol et l’esclavage sexuel sont constamment mis en scène et banalisés peut, avec le temps, s’imprégner de cette agressivité et confondre la fiction et la réalité. On est bien loin de l’époque ou la section brassière du catalogue Sears faisait augmenter la testostérone sanguine des jeunes hommes dans les sous-sols des bungalows.

     

    En matière de sexualité, quand le web devient professeur, les diplômés ont de grandes chances de rester analphabètes.

     

    D’ailleurs, bien des sexologues rapportent que de plus en plus de jeunes hommes ont des problèmes érectiles induits par leur surconsommation de pornographie. Pour cause, voir une femme normale toute nue n’est plus assez pour les allumer. Ce qui est bien logique, car lorsqu’on est un grand champion de la conduite virtuelle, il se peut que monter dans une vraie voiture avec de vraies contraintes et l’obligation de respecter le Code de la route amoindrisse notre excitation.

     

    Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, mais cette inculture du viol qui témoigne d’un mépris total des femmes, combinée à la honte qu’éprouvent désormais bien des jeunes filles à s’associer au féminisme et la marginalisation de l’éducation sexuelle dans nos écoles m’inquiètent grandement.

     

    Société 2:  L’INCULTURE DU VIOL

     

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    S’unir pour vaincre la culture du viol

     


    Terme rébarbatif et concept dur à cerner : la culture du viol fait l’objet de l’ouvrage collectif Sous la ceinture qu’a lu notre chroniqueuse Marianne Prairie.

    Une lecture importante en cette période trouble.


    de Marianne Prairie du magazine Châtelaine

     

    Le recueil Sous la ceinture : unis pour vaincre la culture du viol n’aurait pas pu paraître à un « meilleur » pire moment. Dirigé par l’enseignante Nancy B.-Pilon, il est arrivé en librairie le 19 octobre dernier, soit quelques jours après une vague d’intrusions et d’agressions sexuelles dans une résidence de l’Université Laval. Un drame accueilli par trois jours de silence de la part du recteur, Denis Brière. Dans la foulée, une jeune femme accusait un député de l’avoir agressé sexuellement – le nom de Gerry Sklavounos circule depuis. Au même moment, on apprenait selon une étude que 30 % des hommes commettraient un viol s’ils étaient assurés de ne jamais se faire poursuivre.


    Ces exemples auraient tous pu figurer à la table des matières de Sous la ceinture. L’ouvrage qui compte 18 contributions aussi percutantes que variées expose la culture du viol dans toute sa triste splendeur. La nouvelle, le poème, l’essai et le théâtre, mais aussi l’illustration et la photographie s’entremêlent pour dresser un portrait cru et nécessaire d’un mal qui se nourrit de silence, d’indifférence et de pouvoir. J’ai dû prendre plusieurs pauses pendant ma lecture tant j’étais bouleversée.

     

     

    Société 2:  S’unir pour vaincre la culture du viol

    Photo: Québec Amérique


    À l’été 2015, c’est dans un contexte semblable à celui des derniers jours que Nancy B.-Pilon a eu envie de crier « Ça suffit! » Un commentaire à la suite de la publication d’une blague controversée de Jean-François Mercier a été le déclencheur de ce projet : « Une femme avait écrit : “C’est sûr que si tu t’habilles pour te faire violer, étonne-toi pas que ça t’arrive.” Penser et dire des choses aussi violentes, venant d’une femme de surcroit… Personne ne mérite de se faire violer, c’est impossible! »


    Nancy a donc réuni autour d’elle des voix qui ne se prononcent pas habituellement sur la culture du viol. « Je voulais offrir l’opportunité à des gens de s’exprimer sur cet enjeu, pour explorer des angles variés et que les textes nous touchent de différentes manières », explique-t-elle. Elle avoue ne pas avoir eu envie de faire une étude sociologique. Elle croit plutôt que les histoires et les témoignages peuvent permettre aux lecteurs de se reconnaître davantage dans les récits et susciter ainsi une plus grande prise de conscience.


    Car le terme « culture du viol » peut être rébarbatif pour certains et le concept dur à cerner, tant il s’infiltre dans toutes les craques de notre société. Après une préface assez dense, cosignée par le rappeur Koriass et l’auteure Aurélie Lanctôt, la chroniqueuse Judith Lussier prend soin de mettre au clair certains malentendus qui circulent sur le sujet. L’exercice est éclairant et permet de comprendre qu’il s’agit « d’un ensemble de comportements, de discours et d’attitudes qui font en sorte que les agressions sexuelles sont banalisées, voire érotisées. » La logique derrière la culture du viol est la suivante : « les victimes sont culpabilisées, et les coupables, victimisés. »


    C’est exactement cela qui s’opère dans le cas de Gerry Sklavounos. Sur les médias sociaux ce que le quidam moyen dit d’Alice Paquet, celle qui a porté plainte contre lui: « Elle veut de l’attention! Elle va détruire sa carrière! Elle l’a cherché! » En même temps, on apprend que le politicien a la réputation d’avoir des comportements déplacés et insistants envers les femmes depuis des années, sans trop de conséquences.


    Dans Sous la ceinture, il n’y a pas de politicien aux mains baladeuses, mais un prof de dessin (et ami cher de la famille) qui donne des cours « de niveau avancé » à des adolescentes (Miléna Babin). Il y a un boyfriend, un garçon adulé par une fille plus jeune que lui, qui s’avère être un abuseur en puissance, une fois le premier « je t’aime » échangé (Florence Longpré). Il y a le capitaine d’une équipe masculine de football universitaire qui humilie des recrues lors des initiations (Samuel Larochelle). Il y a une fréquentation qui fait ça ben trop vite et ben trop fort, en demandant si c’est correct… le lendemain, par texto (Julie Artacho).


    C’est d’ailleurs une des choses qui frappe à la lecture de Sous la ceinture, tous les textes présentent cet incontournable rapport de pouvoir qui permet d’autoriser le pire. Aussi, dans la très grande majorité des histoires (qu’elles soient fictives ou pas), l’abuseur est connu, voire aimé par la victime. C’est à l’image de la réalité québécoise, où 8 personnes sur 10 connaissent leur agresseur.


    Autre aspect intéressant, beaucoup d’auteur.e.s mettent en scène des personnages adolescents ou jeunes adultes. Une drôle de coïncidence lorsqu’on sait que chacun des auteurs a eu carte blanche. On sent que vaincre la culture du viol passe par la nouvelle génération et son éducation. L’auteure et professeure de philosophie Véronique Grenier abonde en ce sens dans son essai « Polaroïd » qui propose des solutions concrètes. « On doit notamment avoir un discours sain sur la sexualité. Les mots ne sont jamais que des mots », commente-t-elle. Véronique a mis Sous la ceinture au programme de son cours cette session : « Il n’existe pas grand-chose sur la culture du viol en français. Cet ouvrage permet de savoir ce dont il est question, mais la multiplicité des approches permet aussi la réflexion et l’empathie. »


    Justement, le témoignage de la rédactrice et traductrice Gabrielle Lisa Collard suscite autant l’empathie que l’admiration et la colère. Elle a choisi de raconter son viol avec aplomb, lucidité et rage: « Si je peux aider UNE personne à réaliser que c’était pas sa faute et lui éviter de porter la honte et la culpabilité pendant des années comme je l’ai fait, ma job est faite. » Gabrielle souhaite que cette prise de parole collective fasse écho dans l’espace public : « Parce que le silence, des individus comme des médias, des gouvernements et des institutions, il a un prix. On sous-estime collectivement l’importance du problème de l’agression sexuelle, de l’incompréhension de ce qu’est le consentement. »


    Véronique Grenier considère aussi que nous nous trouvons devant des enjeux de santé et de sécurité publiques : « Il faut cesser de voir des cas isolés, alors que c’est partout. Ça prend combien d’anecdotes pour qu’on reconnaisse que c’est une épidémie? » Quant à elle, Nancy B. Pilon souhaite que son ouvrage provoque des discussions : « Mon but, c’est d’ouvrir le dialogue. Le silence permet à cette culture d’être aussi forte. Faut arrêter de se mettre la tête dans le sable! »


    Je crois sincèrement que ce livre a ce potentiel transformateur, d’autant plus qu’il est bien écrit et accessible. Il démontre bien que tout est lié dans cette culture de masculinité toxique et de femmes-objets. Une lecture utile dans ces moments troubles.


    Sous la ceinture: Unis pour vaincre la culture du viol, Québec Amérique, 2016

     

     

    Société 2:  S’unir pour vaincre la culture du viol

     

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