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    Pierre-Auguste Renoir (1841 - 1919)

     

    Vivre pour peindre

     

    de www.herodote.net

    Peindre encore et toujours. Renoir n’a jamais dévié de cette ligne de conduite. Son génie lui vaudra un succès durable ainsi que de nombreuses amitiés. Avec la reconnaissance, il acquiert les moyens d’une vie confortable. Il choisira de la partager entre Paris et Essoyes, le village natal de son épouse, où il passe tous ses étés. De son vivant, sa notoriété n’a cessé de grandir, dépassant les frontières et franchissant même l'Atlantique.

    Loin de se complaire dans le style qui l’a fait connaître comme un grand artiste, l’impressionnisme, Renoir va poursuivre inlassablement ses recherches, ouvrant la voie à d’autres génies comme Matisse ou Picasso.

    Vanessa Moley
     
     

    « Le pont des Arts », 1867-1868, Pierre-Auguste Renoir, Norton Simon Museum, Pasadena, États-Unis.

    La peinture pour seul viatique

    À l’instar de bien d’autres artistes, rien ne semble prédisposer Renoir à connaître un destin hors du commun.

     

    Léonard Renoir, 1869, père de l'artiste, Pierre-Auguste Renoir, Saint Louis Art Museum, Missouri, États-Unis.

    àSon père, Léonard Renoir (1799-1874), est tailleur de pierres à Limoges et sa mère, Marguerite Merlet (1807-1896), couturière. Il voit le jour le 25 février 1841, un mois à peine avant la loi qui interdit d’employer des enfants de moins de huit ans dans les manufactures, usines ou ateliers.

    Pierre-Auguste est le benjamin d’une fratrie qui compte déjà cinq enfants. À l’âge de 13 ans, il entre en apprentissage chez un peintre sur porcelaine avant d’exercer plusieurs métiers de décoration (peinture d’éventails, de stores…). Le virus de la peinture est déjà là. C’est à cette époque qu’il s’inscrit à l’école municipale gratuite de dessins et profite de son temps libre pour aller copier les maîtres au Louvre…

     

    « Claude Monet (Le Liseur) », 1872, Pierre-Auguste Renoir, National Gallery of Art, Washington.

    Renoir a vingt ans en 1861, l’année où une femme va pour la première fois devenir bachelière. Napoléon III et le Second Empire sont alors à leur apogée...

    Son attrait pour la peinture s’affirme au point qu’il commence à fréquenter l’atelier du peintre suisse Charles Gleyre (1808-1874). Il va y rencontrer Alfred Sisley (1839-1899), Frédéric Bazille (1841-1870) puis Claude Monet (1840-1926), qui deviendront ses amis.

    Une nouvelle étape est franchie l’année suivante puisqu’il entre à l’École impériale et spéciale des beaux-arts où il passe 2 ans. Ses efforts ne seront cependant pas récompensés car il n’obtient pas le prix de Rome. En 1863, il essuie un nouvel échec, au Salon officiel cette fois, qui refuse de l’exposer.

    Renoir revient à la charge l’année suivante et l’une de ses toiles, La Esmeralda, figure parmi les œuvres offertes aux yeux du public. Fait plutôt rare, il détruira ce tableau par la suite, ne le jugeant pas assez réussi.

    « Bal du moulin de la Galette », 1876, Pierre-Auguste Renoir, musée d'Orsay, Paris.

    L'époque des rencontres

    Quatre ans plus tard, en 1868, Renoir connaît son premier vrai succès au Salon officiel avec Lise. La même année, le marchand d'art Paul Durand-Ruel (1831-1922) lui achète pour la première fois une œuvre, Le Pont des arts

     

    « La balançoire », 1876, Pierre-Auguste Renoir, musée d'Orsay, Paris.

    Ce marchand va dès lors s'occuper de la diffusion de ses tableaux et le propulser dans le cercle des artistes les plus en vogue avec les expositions « impressionnistes » organisées dans sa galerie parisienne. Toute sa vie, il restera très lié au peintre. 

    L'exposition de 1876, sous les débuts de la IIIe République, présente 15 toiles de Renoir et celle de l’année suivante 21 ! Les critiques et le public accordent une attention particulière à La Balançoireet au Bal du Moulin de la Galette

    En 1880, année où l’enseignement secondaire public est ouvert aux filles, Renoir découvre l’île de Chatou. Il a 39 ans et séjourne à l’auberge Fournaise. 

    Il puise dans ce lieu l'inspiration pour commencer l’un de ses plus célèbres tableaux, Le Déjeuner des canotiers. Parmi les personnages figure Aline Charigot. Cette jeune couturière née à Essoyes, près de Troyes, va jouer un rôle déterminant dans la vie de Renoir. Elle sera d’abord son modèle avant de devenir sa maîtresse, puis son épouse. En 1885, elle va donner naissance à leur premier fils, Pierre. 

    En 1886, Renoir fait la connaissance de Berthe Morisot, elle aussi peintre, mais surtout organisatrice de dîners, qui lui fera rencontrer Stéphane Mallarmé (1842-1898). Le poète lui apportera un appui décisif quelques années plus tard…

     

    « Le déjeuner des canotiers », 1880-1881, Pierre-Auguste Renoir, The Phillips Collection, Washington D.C.

    Essoyes, là où le bonheur est source de création

    Lassé de Paris, Renoir s’installe à Essoyes dans une modeste maison de deux pièces, sur la route de Loches. Dans ce havre de paix, il continue de peindre, s’attachant à rendre des scènes de la vie paysanne. En 1890, il épouse Aline Charigot à Paris. Deux ans plus tard, Stéphane Mallarmé apporte son concours à Renoir et l’État lui achète pour la première fois un tableau. Ce sera les Jeunes filles au piano, la première toile du peintre à intégrer les collections nationales.

     

    « Femme jouant de la guitare », 1897, Pierre-Auguste Renoir, musée des Beaux-Arts de Lyon.

    En 1896, avec le fruit de cette vente, soit 4 000 francs, Renoir achète une maison avec dépendances à Essoyes, sur la grande route qui mène à Bar-sur-Seine (actuellement au 42 de la rue Auguste Renoir). L’année suivante, il est malheureusement victime d’une chute de vélo, un accident auquel l’entourage du peintre attribuera la polyarthrite rhumatoïde qui diminuera l’artiste le restant de sa vie.

    Le tournant du siècle voit la renommée de Renoir atteindre un nouveau sommet puisque le musée de Lyon lui achète Femme jouant de la guitare (1896-97). C’est le premier achat par un musée de province d’une œuvre du peintre.

    Très attaché à sa maison d’Essoyes, Renoir lui adjoint en 1907 un atelier et y passe désormais tous ses étés, une pratique qui va se perpétuer durant une trentaine d’années. La même année, sa notoriété franchit l’Atlantique. Le Metropolitan Museumde New York se porte en effet acquéreur de Madame Charpentier et ses enfants pour la somme record de 84 000 francs.

     

    « Madame Charpentier et ses enfants », 1878, Pierre-Auguste Renoir, Metropolitan Museum of Art, New-York.

     

    Toujours en 1907, Renoir achète à Cagnes le domaine des Collettes et y fait construire une maison. À 59 ans, Renoir a droit a une nouvelle consécration : la 9e Exposition internationale de Venise, tenue en 1910, lui réserve une salle entière. La carrière de Renoir atteint alors son acmé.

     

    Tombe de Renoir au cimetière d'Essoyes, @ Sylvain Bordier. Madame Renoir repose derrière son mari aux côtés de sa mère, son fils Claude et son petit-fils Claude junior, fils de Pierre.

    Les années suivantes seront marquées par un drame. En 1915, pendant la Première Guerre mondiale, son épouse décède à Nice alors qu’elle rentre de Gérardmer où elle a rendu visite à son fils Jean, hospitalisé suite à une blessure à la jambe.

    Renoir continue d’inspirer de futurs grands noms de l’art. En 1917, Henri Matisse (1869-1954) lui rend la première d’une série de visites durant lesquelles il vient soumettre ses œuvres au regard du maître. Mais la fin approche.

    En 1919, le 3 décembre, Renoir décède à Cagnes des suites d’une congestion pulmonaire. Il est enterré à Nice aux côtés d'Aline le 6 décembre. Trois ans plus tard, leurs enfants les feront inhumer tous deux, selon leur souhait, au cimetière d’Essoyes. Aujourd’hui, toute la famille Renoir repose dans ce village.

     

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    Johannes Vermeer (1606 - 1669)

    Peintre de l'intime

     

     

    Peintre discret de la riche Hollande du XVIIe siècle, Vermeer aurait été étonné de découvrir l’engouement que ses toiles suscitent aujourd’hui.

    Pour comprendre d’où lui vient cette gloire, partons à sa rencontre à Delft et surtout, laissons parler ses œuvres...

    Isabelle Grégor

    « Soldat et jeune femme riant », Johannes Vermeer, 1657, The Frick Collection, New York.

    La drôle de famille du Renard

    Nous sommes le 31 octobre 1632 et les membres de la petite famille Vos (« le Renard ») s'empressent vers la Nieuwe Kerke, la Nouvelle Église de Delft, symbole du calvinisme. Ils y sont attendus par le pasteur pour célébrer le baptême de leur garçon, un enfant peu pressé puisqu'il est né 12 ans après sa sœur Gertruy. Mais ses parents, Reynier et Digna, l'accueillent chaleureusement et lui donnent le prénom de son grand-père paternel, Johannes.

    On préfère oublier l'autre grand-père, Balthasar, un artiste pourtant, mais qui eut la mauvaise idée de mettre son talent au service de la fabrication de fausse monnaie... Ses deux complices en perdirent la tête sur l'échafaud ! On n’a pas oublié également qu’une de ses grands-mères organisait des loteries truquées.

    La famille cherche donc à se refaire une virginité morale en travaillant durement dans l'auberge que le couple tient depuis quelques années et que Reynier a subtilement appelée Le Renard volant.

    Tisserand de caffa (mélange de soie et coton), le père de famille est en effet aussi aubergiste et profite des murs de son établissement pour développer, comme il s'est fait enregistrer auprès de sa guilde (sorte de syndicat professionnel), un petit commerce de « marchand d'art ».

    Cet homme touche-à-tout a été surnommé Ver Meer, « l'homme de la mer », patronyme qu'il adopte définitivement dans les années 1640, pensant peut-être qu'il fait plus sérieux que celui de « Renard ». En 1641, nouveau déménagement du côté de la place du Marché dans la belle auberge Mechelen fréquentée par le gratin de la bourgeoisie mais aussi par des peintres et collectionneurs de tableaux.

    C'est donc dans un milieu à la fois très vivant et artistique que le petit Johannes grandit. Mais nous n'en saurons pas plus : la formation du futur virtuose reste un mystère complet. A-t-il découvert sa vocation à la suite d'une rencontre ? Quel atelier a-t-il fréquenté ? Le fils du Renard se fait déjà discret.

    « Le Christ dans la maison de Marthe et Marie », Johannes Vermeer, 1655, National Gallery of Scotland, Édimbourg.

    Merci, belle-maman !

    1653 est décidément une belle année pour les Vermeer. Johannes a réussi à convaincre Catharina Bolnes de le prendre pour époux, malgré les doutes de sa future belle-mère, fière de ses vieilles origines bourgeoises et catholiques.

    « Sainte Praxède », Johannes Vermeer, 1655, musée de la Chapelle de la Visitation, Monaco.Comment peut-elle faire confiance à cette petite famille d'artisans et d'aubergistes à la morale douteuse ? Ne dit-on pas que le père a donné un coup de couteau à un homme pendant une banale échauffourée ? Et surtout, comment accepter de se lier à des protestants ?

    Finalement, belle-maman Maria passe outre ses hésitations lorsque Johannes lui promet de se convertir, chose faite peu de temps après la cérémonie du 20 avril.

    Le jeune couple, qui allait donner vie à quinze enfants, s'installe rapidement chez Maria, dans un quartier de Delft où les jésuites sont fort influents.

    C'est donc vers la peinture religieuse que va d'abord se tourner Vermeer, officiellement enregistré comme artiste indépendant dans la guilde de Saint-Luc en décembre de cette même année.

    À 22 ans, il est d'ailleurs fort jeune pour avoir déjà droit à un tel honneur, ce qui prouve sans contexte un talent précoce et reconnu. Il a certainement profité de l'ambiance stimulante qui règne alors à Delft, quatrième ville de Hollande déjà célèbre pour ses manufactures de faïences.

    « Le Chardonneret », Carel Fabritius, 1654, La Haye, Mauritshuis Museum, La Haye.

    Mais la cité paisible connaît le 12 octobre 1654 un drame qui va marquer l'histoire de l'Art : ce jour-là, la grande poudrière explose, détruisant près de 200 maisons et faisant de nombreuses victimes dont le génial Carel Fabritius, ancien élève de Rembrandt.
    « Ainsi périt ce phœnix pour notre malheur,
    Au milieu, au plus haut point de sa gloire,
    Mais, par bonheur, ce même feu nous a donné en revanche
    Vermeer, qui magistralement suivit ses traces »

    écrit quelques années plus tard le poète Arnold Bon, soulignant l'influence du créateur du célèbre Chardonneret sur son jeune continuateur.

    En attendant la gloire, Vermeer s'installe avec chevalets et pinceaux au premier étage de la maison de sa belle-mère. Il est temps de trouver un style.

    « L'Entremetteuse », Johannes Vermeer, 1656, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde.

    De la débauche à la sérénité

    Le troisième tableau de Vermeer est un coup de maître : fini, les scènes mythologiques et religieuses des premières œuvres, place aux scènes de genre ! Et il ne va pas chercher l'inspiration très loin, puisqu'on sait que sa belle-mère avait orné ses murs de quelques toiles bien choisies, dont une représentation d'une courtisane par Dirck van Baburen.

    « La Liseuse à sa fenêtre », 1659, Pinacothèque, Dresde.

    Elle devient sous le pinceau de Vermeer une Entremetteuse (1656), s'inscrivant dans cette mode des scènes de genre qui ont fait le succès d'un Jan Steen : tavernes ou maisons closes deviennent les décors de réunions grivoises censées faire passer un message moralisateur au spectateur.

    Mais Vermeer va s'éloigner rapidement de ces représentations pleines de vie pour adopter le style plus sobre de Gerard Ter Borch, un de ses amis présent à son mariage. 

    Celui-ci a en effet vite abandonné la représentation de la trivialité pour lui préférer des épisodes plus austères de la vie quotidienne.

    Les personnages, banals, sont isolés dans des intérieurs à la fois cossus et quasiment vides où l'artiste les piège dans des moments intimes qui nous resteront mystérieux : à quoi pense ce géographe qui vient de relever la tête de ses travaux ? que contient cette lettre qui semble émouvoir cette jeune femme ?

    « La Jeune Fille au turban » (détail), Johannes Vermeer, v. 1665, Mauritshuis Museum, La Haye.

    Pour répondre, on peut se faire enquêteur et rechercher les indices : une mer tourmentée représentée sur un tableau, dans le fond de la toile, et la passion se fait houleuse ; une perle qui apparaît sous un turban, et la jeune fille en devient toute innocente. Il suffit d'une porcelaine chinoise posée sur une table pour évoquer la puissance maritime du pays, et quelques bobines de fil appellent à la patience et la modestie.

    Pour les maîtres de « la manière fine » de l'école de Leyde, Gérard Dou, Gabriel Metsu ou encore Frans van Mieris, il faut associer la précision de la technique, proche de la sophistication, à la banalité apparente du sujet pour mieux obliger le spectateur à observer et s'interroger. Avec ce choix d'une peinture intimiste, Vermeer s'inscrit pleinement dans l'air du temps mais va mener cet art à une perfection fascinante.

    Naissance d'un chef-d’œuvre

    Dans ce roman, Tracy Chevalier imagine les circonstances de la création de La Jeune fille au turban. Griet, une jeune servante, accepte de servir de modèle pour le nouveau tableau de son maître, Vermeer...
    Fouillant dans toutes ces étoffes, il en sortit une bande longue et étroite d'étoffe bleue.
    « Je voudrais malgré tout que vous essayiez ceci. »
    Je regardai le tissu. « Il n’y en a pas assez pour me couvrir la tête.
    - Alors, prenez aussi ce morceau-là. »
    Il ramassa un bout de tissu jaune bordé du même bleu et me le tendit. J’emportai à contrecœur les étoffes dans la réserve et, debout devant le miroir, j’essayai à nouveau de m’en faire une coiffure. Je nouai le tissu bleu sur mon front, puis j’enroulai le jaune plusieurs fois autour de mon crâne, jusqu’à ce que celui-ci soit entièrement couvert. Je rentrai l’extrémité sur le côté, j'arrangeai quelques plis, lissai la bande bleue sur mon front et retournai dans l'atelier.
    Il était en train de lire, aussi ne me vit-il pas me rasseoir. Je repris la même pose. Au moment où je tournai la tête pour regarder par-dessus mon épaule gauche, il leva les yeux. Au même instant, l'extrémité du tissu jaune se défit et tomba sur mon épaule. « Oh ! » murmurai-je, craignant que l'étoffe en glissant ne laissât voir mes cheveux.
    Elle resta en place. Seule l'extrémité de l'étoffe jaune pendait. Mes cheveux restèrent cachés.
    « Bien, dit-il alors. C'est parfait, Griet. Parfait. » (Tracy Chevalier, La Jeune fille à la perle, 1999)

    « La Jeune Fille au turban », Johannes Vermeer, v. 1665, Mauritshuis Museum, La Haye.

    La caresse du pinceau

    Le « mystère Vermeer » vient-il de l'absence de sources sur son savoir-faire ? On n'a en effet aucune trace écrite, croquis ou lettre, qui permettrait d'éclairer sa technique. On sait qu'il peignait sur des toiles en lin sur lesquelles il disposait certainement une première ébauche à la craie, comme on le voit dans L'Art de la peinture.

    « La Servante assoupie », Johannes Vermeer, v. 1656, The Metropolitan Museum of Art, New-York.

    Ne pouvant employer un apprenti par manque de moyens, il préparait lui-même ses couleurs à base de pigments et d'huile de lin, couleurs où le bleu (à partir de lapis-lazuli) et le jaune dominaient, mis en valeur sur des fonds neutres. De façon très exceptionnelle, l'artiste eut recours à des feuilles d'or pour rehausser les clous de la chaise de la Servante assoupie (1656).

    Sa palette, très lumineuse, doit beaucoup à Fabritius et donc à Rembrandt avec l’usage du clair-obscur. Il adopte une transition douce entre les intensités de lumière, celle-ci étant délicatement répercutée sur les objets et personnages.

    Plus énigmatique reste la question de la perspective que l'on peut observer dans ses toiles. Pourquoi par exemple les objets disposés au mur, derrière la laitière, semblent-ils plus nets que ceux qui occupent le premier plan ?

    Aurait-il utilisé cette fameuse camera obscura (chambre noire) dont Léonard de Vinci décrit ainsi les effets : « En laissant les images des objets éclairés pénétrer par un petit trou dans une chambre très obscure tu intercepteras alors ces images sur une feuille blanche placée dans cette chambre [...] mais ils seront plus petits et renversés » ?

    « La Dentellière », v. 1669, musée du Louvre, Paris.

    Ces images présentent également des « gouttelettes », une impression de flou que l'on retrouve sur plusieurs œuvres de Vermeer, comme La Dentellière (1671). Proche d'Antoni van Leeuwenhoeck, grand spécialiste du microscope, notre peintre s'est intéressé de près aux mécanismes de l'optique et à leur application dans le domaine de la perspective.

    Mais plus que la camera obscura, fort chère, ce sont peut-être de simples aiguilles qui lui ont permis, en reliant quelques fils, de définir précisément les points de fuite qui sont à la base de ses compositions. Ne trouve-t-on pas sur la moitié de ses toiles de petits trous très stratégiquement situés ?

    « La dame en jaune écrivant », Johannes Vermeer, v. 1665, National Gallery of Art, Washington.

    « Une rétine-fée »

    Dans L'Oeil écoute, Paul Claudel rend hommage à la façon dont le peintre de Deflt a su regarder le monde, trois siècles avant l'invention de la photographie.
    « Ce qui me fascine, c'est ce regard pur, dépouillé, stérilisé, rincé de toute matière, d'une candeur en quelque sorte mathématique ou angélique, ou disons simplement photographique, mais quelle photographie ! En qui ce peintre, reclus à l'intérieur de sa lentille, capte le monde extérieur. On ne peut comparer le résultat qu'aux délicates merveilles de la chambre noire et aux premières apparitions sur la plaque du daguerréotype de ces figures dessinées par un crayon plus sûr et plus acéré que celui de Holbein, je veux dire le rayon de soleil ! La toile appose à son trait une espèce d'argent intellectuel, une rétine-fée. Par cette purification, par cet arrêt du temps qui est l'acte du verre et du tain, l'arrangement extérieur pour nous est introduit jusqu'au paradis de la nécessité » (L'Oeil écoute, 1946).

    Le sphinx et le boulanger

    Entouré de sa famille, Vermeer s'installe dans la routine d'une vie de peintre tranquille. Pour lui, pas de voyage en Italie à la rencontre des maîtres, pas de scandale, pas de procès retentissant comme en a connu Rembrandt.

    Poursuivant certainement l'activité de négociant en art de son père, il profite pleinement de la folie d’achat de la riche bourgeoisie qui dit-on, aurait permis à un millier de peintres de vivre.

    La concurrence est donc rude ! Lui-même parvient à trouver un mécène fidèle dans la personne de Pieter van Ruijven qui commence par lui prêter de l'argent, avant de lui acheter deux ou trois tableaux par an.

    « La Jeune Fille au chapeau rouge », Johannes Vermeer, 1665, National Gallery of Art, Washington.

    Le peintre peut aussi compter sur l'obligeance intéressée d'un boulanger et prêteur sur gages, Hendrick van Buyten, que le diplomate Balthasar de Monconys a rencontré en 1656 : « À Delphes [Delft], je vis le peintre Vermer [sic] qui n'avait point de ses ouvrages ; mais nous en vîmes un chez un boulanger, qu'on avait payé 600 livres, quoiqu'il n'y eût qu'une figure, que j'aurais cru trop payer de 6 pistoles ».

    La gestion du quotidien n'est donc pas toujours facile pour Vermeer qui peint fort peu, au grand maximum trois toiles dans une année faste, en général des commandes pour lesquelles il prend tout son temps et dépense fort cher en couleurs, notamment pour acquérir le fameux bleu outremer.

    Il s'approvisionne chez un apothicaire mais peut aussi confectionner lui-même ses pinceaux, ce qui expliquerait leur mauvaise qualité : on a en effet retrouvé sur ses toiles nombre de fragments de poils.

    Mais s'il a l'habitude de travailler seul, celui qui a été surnommé le « Sphinx de Delft » ne vivait pas comme un ermite : les amateurs d'art, nous l'avons vu, connaissaient son nom et venaient visiter celui qui sera élu à deux reprises président de sa guilde, en 1662 et 1670, preuve du respect de ses pairs.

    « L’Allégorie de la foi », Johannes Vermeer, vers 1670, The Metropolitan Museum of Art, New-York.

    Les objets du peintre

    « Vous m'avez dit que vous aviez vu certains tableaux de Vermeer, vous vous rendez bien compte que ce sont les fragments d'un même monde, que c'est toujours, quelque génie avec lequel ils soient recréés, la même table, le même tapis, la même femme, la même nouvelle et unique beauté […] ». Comme le remarque ici Marcel Proust (La Prisonnière, 1925), une rapide comparaison des toiles permet de comprendre que meubles et accessoires étaient ceux qui entouraient Vermeer dans son cadre de vie.

    « La Femme à l'aiguière », Johannes Vermeer, 1658,  New York, The Metropolitan Museum of Art, New-York.

    On a par exemple trouvé mention dans l'inventaire effectué après son décès de la cruche en vermeil présente dans La Femme à l'aiguière (1658) et du crucifix d'ivoire disposé dans L'Allégorie de la Foi (1670-1674).

    Arrêtons-nous également sur les cartes géographiques qui remplissent les arrière-plans de cinq de ses œuvres : elles étaient alors à la mode dans la bourgeoisie qui y voyait avec fierté le symbole de la toute jeune nation hollandaise et de ses succès commerciaux.

    Elles contenaient donc un message, comme celle de L'Art de la peinture qui représente les 17 provinces des Pays-Bas telles qu'elles existaient en 1636 et qui ne sont plus que souvenir 30 ans plus tard, au moment de la réalisation de l'œuvre.

    « La Jeune fille au verre de vin », 1659, musée Herzog Anton-Ulrich, Brunswick, Allemagne.

    Faut-il pour autant y voir une critique de la division de ce pays ? Une sixième carte aurait dû apparaître, comme le révèlent les radiographies effectuées sur La Laitière (1658-1660) mais l'artiste a préféré la faire disparaître, ne laissant malicieusement sur le mur que quelques traces de clous...

    Très appréciés, les tapis d'Orient étaient eux aussi considérés comme signes de richesse, preuves des nombreux échanges effectués avec les pays les plus exotiques.

    Chez Vermeer chaque détail compte : les fruits abandonnés dans une assiette (La Jeune fille au verre de vin, 1659), le balai posé dans un coin (La Lettre d'amour, 1669) tout comme les bijoux en perles ne sont pas là uniquement pour attirer l'œil mais aussi pour souligner le danger guettant la femme qui délaisse ses occupations pour rêver à l'amour...

    « L’Art de la Peinture », Johannes Vermeer, v. 1666, Kunsthistorisches Museum, Vienne.

    Des personnages si proches...

    L'un se peint, l'autre pas : si Rembrandt, qui crée sa Ronde de nuit (1642) l'année des 10 ans de Vermeer, adorait se mettre en scène, ce ne fut pas du tout le cas de son benjamin. Son seul « autoportrait », L'Art de la peinture, le montre malicieusement de dos ! 

    « Le Géographe », Johannes Vermeer, 1669, musée Städel, Francfort-sur-le-Main, Allemagne.

    Certes, certains comme André Malraux, auraient aimé reconnaître les traits du maître dans ceux du musicien de L'Entremetteuse, mais rien ne le prouve si ce n'est la tradition pour les peintres de se représenter ainsi, dans les tableaux d'histoire, légèrement en retrait, observant le spectateur.

    Est-ce aussi, comme on l'affirme, l'ami van Leeuwenhoek qui représente la figure du savant dans L'Astronome (1668) pour réapparaître l'année suivante dans Le Géographe (1669) ?

    Les personnages féminins de La Femme au collier de perles (1664), La Dame en jaune écrivant (1665), La Maîtresse et sa servante (1667) et La Lettre d'amour (1669), fort semblables physiquement, ont-ils autre chose en commun que le célèbre manteau jaune bordé d'hermine ? Il faut plutôt voir ici l'archétype de la femme sensuelle mais encore vertueuse qui risque à tout instant de céder à la tentation.

    « La Lettre d'amour », Johannes Vermeer, v. 1669, Rijksmuseum, Amsterdam.

    Peintre du beau sexe, Vermeer a aussi su rendre omniprésent l'Homme, symbolisé par l'arrivée subite d'une lettre ou par un instrument de musique abandonné. N'oublions pas l'intermédiaire indispensable, celle qui se cache dans ces scènes galantes, cette servante traditionnellement représentée paresseuse mais qui apparaît dans La Laitière comme une jeune femme au regard baissé, attentive à sa tâche.

    Vermeer rend ainsi hommage à celle qui joue un rôle si important pour les Hollandais dans l’équilibre familial, puisqu’ils considéraient la maison comme un sanctuaire qui se devait d’être toujours impeccable.

    Finalement rares, les portraits réalisés par Vermeer ne peuvent aujourd'hui être associés au nom d'un commanditaire, laissant possible l'hypothèse que tous ces sourires appartenaient à sa femme ou ses sept filles.

    Mais alors, La Jeune fille au turban (1665) est-elle Cornelia ou sa sœur Beatrix ? Laquelle a accepté de se couvrir les cheveux à la façon des Turcs qui fascinaient alors l'Europe ? Et si, finalement, la Joconde du Nord n'était qu'une de ces tronies, ces « têtes d'expression » qu'adorait le marché de l'Art ?

    Johannes Vermeer vu par André Malraux (1966 - archives Ina)

    À l'occasion de l'inauguration de l'exposition consacrée au peintre au musée de l'Orangerie à Paris, André Malraux, ministre des Affaires culturelles, fait des suppositions sur l'identité des personnages des tableaux de Vermeer.

     

    Il est sorti, enfin !

    Casanier, Vermeer l'était certainement. Lorsqu'il se décide enfin à quitter son cher atelier en 1657, c’est pour aller créer deux chefs-d’œuvre, avant de retrouver le toit chaleureux de sa belle-mère. Veut-il s'essayer lui aussi aux vedute, ces vues de villes, genre encore récent que tend à populariser Pieter de Hooch avec ses représentations des arrière-cours de Delft ?

     

    « La Ruelle », Johannes Vermeer, v. 1658, Rijksmuseum, Amsterdam.

    Mais s'il élargit son décor, Vermeer n'en perd pas pour autant ses habitudes : son cadrage de la Ruelle est resserré, il joue avec les perspectives, il intègre des personnages absorbés par leurs travaux quotidiens.

    Peut-être rassuré par ce premier essai sur un petit format, il se lance quelques années plus tard dans une Vue de Delft (1661) plus ambitieuse.

    Reprenant la tradition des représentations de villes, il donne une image assez fidèle de sa propre cité, permettant à chacun d’en reconnaître les principaux monuments. Qu'importe si quelques maisons ont rétréci pour mieux s'intégrer dans l'ensemble !

    C'est avant tout l'harmonie qui est recherchée, l'impression de paix et d'immobilité qui caractérisait ce petit matin où le peintre a pris place dans un bâtiment face au fleuve. Il était 7h10, comme l'indique l'horloge de la porte de Schiedam. Seul véritable paysage du peintre qui nous soit parvenu, ce tableau qui préfère mettre en valeur le ciel plutôt que la ville aurait une fonction politique.

    Vermeer s'est en effet attaché à faire tomber la lumière sur la Nieuwe Kerke (l'Église Nouvelle), à gauche, abritant le tombeau de Guillaume Ier d'Orange qui conduisit la marche vers l'indépendance des Provinces-Unies, jusque-là soumises à la couronne espagnole.

    Subjugué par ce qu'il considérait comme « le plus beau tableau au monde », Marcel Proust avait fait part de son admiration à son ami le critique d'art Jean-Louis Vaudoyer qui nous propose cette analyse du charme étrange produit par l'œuvre :
    « Vous revoyez cette étendue de sable rose doré, laquelle fait le premier plan de la toile et où il y a une femme en tablier bleu qui crée autour d’elle, par le bleu, une harmonie prodigieuse ; vous revoyez les sombres chalands amarrés ; et ces maisons de brique, peintes dans une matière si précieuse, si massive, si pleine, que vous en isolez une petite surface en oubliant le sujet, vous croyez avoir sous les yeux aussi bien de la céramique que de la peinture » (L'Opinion, 14 mai 1921).

    « Vue de Delft », Johannes Vermeer, v. 1661, Mauritshuis Museum, La Haye.

    « Un petit pan de mur jaune » assassin

    En 1921, Marcel Proust adresse une supplication à son ami Jean-Louis Vaudroyer : « Je ne me suis pas couché ce matin pour aller voir Ver Meer et Ingres. Voulez-vous y conduire le mort que je suis et qui s'appuiera sur votre bras » ? (Correspondance). Ils se rendent donc au musée du Jeu de Paume pour admirer une exposition sur la peinture hollandaise. S'approchant de la Vue de Delft de Vermeer, l'écrivain a une crise d'asthme et se sent mourir. Frappé par cet épisode, il le retranspose dans son roman La Prisonnière où le narrateur relate la mort de l'écrivain Bergotte. Proust lui-même succombera quelques mois plus tard, en 1922. Selon la légende, il aurait la veille retravaillé justement ce passage... Les experts se déchirent toujours pour situer, sur le tableau de Vermeer, le désormais célèbre mur jaune !
    « Il mourut dans les circonstances suivantes : une crise d'urémie assez légère était cause qu'on lui avait prescrit le repos. Mais un critique ayant écrit que dans la Vue de Delft de Ver Meer (prêté par le musée de La Haye pour une exposition hollandaise), tableau qu'il adorait et croyait connaître très bien, un petit pan de mur jaune (qu'il ne se rappelait pas) était si bien peint qu'il était, si on le regardait seul, comme une précieuse œuvre d'art chinoise, d'une beauté qui se suffirait à elle-même, Bergotte mangea quelques pommes de terre, sortit et entra à l'exposition. Dès les premières marches qu'il eut à gravir, il fut pris d'étourdissements. Il passa devant plusieurs tableaux et eut l'impression de la sécheresse et de l'inutilité d'un art si factice, et qui ne valait pas les courants d'air et de soleil d'un palazzo de Venise ou d'une simple maison au bord de la mer. Enfin il fut devant le Ver Meer, qu'il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu'il connaissait, mais où, grâce à l'article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur. "C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune".
    Cependant la gravité de ses étourdissements ne lui échappait pas. Dans une céleste balance lui apparaissait, chargeant l'un des plateaux, sa propre vie, tandis que l'autre contenait le petit pan de mur si bien peint en jaune. Il sentait qu'il avait imprudemment donné la première pour le second. "Je ne voudrais pourtant pas, se dit-il, être pour les journaux du soir le fait divers de cette exposition."
    Il se répétait : "Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune." Cependant il s'abattit sur un canapé circulaire ; aussi brusquement il cessa de penser que sa vie était en jeu et, revenant à l'optimisme, se dit "C'est une simple indigestion que m'ont donnée ces pommes de terre pas assez cuites, ce n'est rien." Un nouveau coup l'abattit, il roula du canapé par terre, où accoururent tous les visiteurs et gardiens. Il était mort »
    (Marcel Proust, La Prisonnière, 1923).

    « Une dame assise au virginal », Johannes Vermeer, entre 1670 et 1672, National Gallery, Londres. L'un des derniers tableaux peints par Veermer.

    La dernière touche

    Après les années 1670, la situation devient de plus en plus difficile pour Vermeer qui a déjà produit le meilleur de son œuvre. A-t-il perdu cette sérénité qui se reflétait dans ses toiles ? Pour faire vivre sa nombreuse famille, il continue son activité d'expert d'art en se rendant en 1672 à La Haye pour étudier des Raphaël et autres Michel-Ange, preuve de la confiance que les spécialistes mettaient dans son appréciation.

    Mais la politique européenne le rattrape : en mai, la France de Louis XIV entre en guerre contre les Provinces-Unies. Le pays commence à être envahi et pour contrer l'avancée ennemie, on n'hésite pas à inonder des régions entières en ouvrant les digues. C'est ainsi que les fermiers qui travaillaient pour la belle-mère de Vermeer ne purent plus envoyer cet argent qui constituait la base stable des revenus de la famille.

    La crise économique s'installe, il n'est plus question pour les riches marchands de penser à orner leurs murs de tableaux. Le rampjaar (« l'année désastreuse ») est une catastrophe pour les artistes qui doivent souvent, comme Vermeer, faire appel à des créanciers pour des sommes impossibles à rembourser.

    Cette déroute finit par pousser Vermeer dans la tombe à l'âge de 43 ans, ainsi que l'expliqua sa veuve : « Pour cette raison [la guerre] et à cause des grandes dépenses occasionnées par les enfants et pour lesquelles il ne disposait plus de moyens personnels, il fut si affligé et s'affaiblit tellement qu’il en perdit la santé et mourut en l’espace d’un jour et demi ».

    Le lendemain, le 16 décembre 1675, il est inhumé dans la Oude Kerke (Vieille Église) de Delft. C'est son ami van Leeuwenhoek qui est chargé d'administrer ses biens. Il laisse derrière lui 11 enfants encore mineurs et une trentaine de toiles dont une vingtaine comportant une signature, souvent fluctuante. C'est désormais aux historiens de l'Art de sauver Vermeer.

    « La Laitière », Johannes Vermeer, v. 1661, Rijksmuseum, Amsterdam.

    Qui les veut ?

    « Tableaux d'une excellente facture, parmi lesquels 21 pièces peintes d'une manière extraordinairement vigoureuse et délicate par le feu J. van der Meer, représentant des scènes variées, le meilleur de tout ce qu'il a réalisé ». Publié en 1696 à l'occasion de la vente de l'imprimeur Jacob Dissius, gendre du mécène Pieter van Ruijven, ce catalogue précieux décrit en quelques mots les toiles et précise les prix de vente, réservant quelques surprises : pour La Laitière, vendue 175 florins, il est question d' « une servante versant du lait, extraordinairement bien exécutée » tandis que La Dentellière, « une jeune femme à ses travaux d'aiguille », n'est estimée qu'à 28 florins ! Quant aux 36 florins demandés pour acquérir une « tronie dans une robe antique », on s'accorde aujourd'hui que ce prix était une affaire pour qui voulait La Jeune fille au turban.

    Une gloire par hasard

    Dans les deux siècles suivant sa mort, Vermeer continue à bénéficier d'une bonne réputation mais sans vraiment se distinguer de ses collègues de la même époque. Les experts d’autrefois préfèrent souvent associer d’autres noms à ses toiles, n’hésitant pas à recouvrir sa signature.

    Il faut attendre le XIXe siècle et l'intérêt de l'extravagant Théophile Thoré-Bürger pour que le Sphinx de Delft devienne auprès des experts et du public un peintre incontournable. En 1842, le journaliste, en visite au musée Mauritshuis de La Haye, tombe en arrêt devant une toile : « cette peinture étrange me surprit autant que La Leçon d'anatomie et les autres Rembrandt, très curieux, du musée de La Haye. Ne sachant à qui l'attribuer, je consultai le catalogue : Vue de la ville de Delft […]. Tiens ! En voilà un que nous ne connaissons pas en France, et qui mériterait bien d'être connu ! » Et voilà notre Thoré-Bürger remuer terre et ciel pour traquer les Vermeer, inciter les riches amateurs à les collectionner et organiser des expositions.

    Han van Meegeren peignant « Le Christ parmi les docteurs », 1945.

    L'obstination de l'ancien avocat est telle qu'il inspire Marcel Proust et devient le modèle du personnage de Swann, censé mener une étude sur Vermeer au grand désespoir de son amie Odette : « Vous allez vous moquer de moi, ce peintre qui vous empêche de me voir (elle voulait parler de Ver Meer), je n'avais jamais entendu parler de lui, vit-il encore ? Est-ce qu'on peut voir de ses œuvres à Paris, pour que je puisse me représenter ce que vous aimez ? » (Du Côté de chez Swann, 1913).

    Découverte de « L’Astronome » de Vermeer par les « Monuments Men », 1945.

    Dès lors, Vermeer devient à la mode, les Impressionnistes l'adorent, et ses tableaux se multiplient étrangement. Ce n'est pas jusqu'au directeur du Mauritshuis, Abraham Bredius, qui ne cède à la folie et attribue au Sphinx nombre d'œuvres réalisées par d'autres. Mais en 1937, il en est sûr : ces Pèlerins d'Emmaüs est « le chef-d’œuvre de Johannes Vermeer » !

    Il vient en fait de tomber dans le piège d'un des plus grands faussaires de l'Art, Han van Meegeren, qui parviendra même à vendre un de ses faux Vermeer à Göring, jaloux de L'Astronome qu’Hitler a volé à la famille Rothschild. Cette œuvre, ainsi que L’Art de la peinture, sera retrouvée par l’équipe des Monuments Men (*) à la fin de la guerre dans la mine de sel d’Altaussee, en Autriche.

    Aujourd'hui, si on estime que seulement 35 ou 37 tableaux de Vermeer sont répertoriés, ses œuvres sont partout, y compris sur nos pots de yaourts, et ne cessent d'inspirer de nouvelles parodies. La rançon de la gloire !

    « Le Fantôme de Vermeer de Delft, pouvant être utilisé comme table », Salvador Dali, 1934, Salvador Dali Museum, Saint-Pétersbourg (Floride).

    Vermeer ? Une belle table…

    Les peintres, bien sûr, se sont interrogés sur le charme étrange des tableaux de Vermeer. Voici l’analyse de Vincent van Gogh : «  Ainsi, connais-tu un peintre nommé Vermeer qui, par exemple, a peint une dame hollandaise très belle, enceinte [La Femme en bleu lisant une lettre]. La palette de cet étrange peintre est : bleu, jaune citron, gris perle, noir, blanc. Certes, il y a dans ses rares tableaux, à la rigueur, toutes les richesses d'une palette complète ; mais l'arrangement jaune citron, bleu pâle, gris perle, lui est aussi caractéristique que le noir, blanc, gris, rose l'est à Vélasquez. » (Lettre à Émile Bernard, 29 juillet 1888).

    Mais c’est une fois de plus Salvador Dali qui se fait remarquer en consacrant une œuvre à son idole, intitulée Le Fantôme de Vermeer de Delft, pouvant être utilisé comme table (1934). Poursuivant dans la provocation, il va jusqu’à utiliser La Laitière comme une cape de toreador d’un genre nouveau !

     

    Bibliographie

    Vermeer et les maîtres de la peinture de genre, catalogue de l'exposition du musée du Louvre, éd. Somogy / Louvre, 2017,
    L'ABCdaire de Vermeer, Flammarion, 1996
    Beaux-Arts (hors-série), « Vermeer et les maîtres de la peinture hollandaise », fév. 2017
    Le Figaro (hors-série), « Vermeer, le monde du silence », fév. 2017
    La Revanche de Vermeer, vidéo, 2017, Arte France/le musée du Louvre.

     

    Biographie de Peintres:  Johannes Vermeer (1606 - 1669) - Peintre de l'intime

     

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    Bernard Buffet

    Chaillot et Montmartre : les secrets de l'artiste

     

     

    Deux expositions, à Paris, sont actuellement consacrées au peintre Bernard Buffet. « Rétrospective », au Musée d’Art moderne, sur la colline de Chaillot, jusqu’au 5 mars 2017, présente un éventail de l’œuvre foisonnante du peintre au style éminemment reconnaissable, l’autre, « Bernard Buffet intime », au musée de Montmartre jusqu’au 12 mars 2017, nous plonge dans l’univers émotionnel de l’artiste.

    Toutes deux font découvrir plusieurs facettes de ce peintre qui vécut le bouillonnement intellectuel et artistique du Paris des années 50...

     

    « La Corrida », 1967, Bernard Buffet, DR.

    Naissance d’une signature

    Au Musée d’Art Moderne, la rétrospective consacrée à Bernard Buffet débute avec La Corrida, tableau qui concentre son style et son univers à travers un kaléidoscope de références. Sont ainsi invoqués Goya, l’univers de la tauromachie et ses codes, ses officiants indifférents plongés dans une mise à mort sacrificielle. Le visiteur se sent immédiatement projeté dans un espace distant où règnent le détachement et la solitude.

    L’émergence du style de Buffet éclate à travers l’un de ses thèmes de prédilection, les autoportraits, dans lesquels il apparaît en buveur, en peintre dans son atelier, nu, vêtu d’un col roulé, d’une chemise ou d’un maillot, et se parachève dans le tableau Deux hommes dans une chambre, qui lui vaut, à 19 ans, le prix de la Critique.

    Des figures statiques aux traits anguleux et maigres, sur des fonds dépouillés, dans un monde peuplé d’ustensiles familiers et insolites, peupleront désormais son œuvre.

    L’indifférence des personnages est également un trait frappant de cette période. Plutôt que des stéréotypes, Jean Cocteau évoquera « des unitypes ».

    Homme de son temps, la guerre inspire aussi le peintre. En 1954, à 26 ans, il réalise Horreur de la guerre, un triptyque accompagné de vingt-six aquarelles. Avec ses nus décharnés, dans des paysages sans âme qui évoquent la Seconde Guerre mondiale, l’œuvre provoque une vive répulsion.

     

    « Horreur de la guerre : Les fusillés », Bernard Buffet, 1954 DR.

    Plus étonnant, la série de tableaux sur l’univers du cirque, le plus souvent des portraits, illustre soigneusement des moments ou des personnages emblématiques du spectacle : trapézistes, jongleurs, clowns, acrobates, écuyères et animaux.

     

    Bernard Buffet, Clown blanc

    Les représentations, réalistes et oniriques, s’appuient sur l’imagerie traditionnelle du cirque pour livrer une métaphore de l’artiste. Les figures de ce cirque sont arrêtées dans leur mouvement.

    Buffet sera accusé de décrire un monde glacé exhalant une tristesse profonde, des visages fermés et des chairs blafardes.

    De fait, le public sera de prime abord dérouté, ce qui n’empêchera pas les reproductions de la « Tête de clown » de connaître un immense succès dans le monde entier.

    Buffet s’est-il livré à un travail détourné d’autoportrait pour laisser deviner sa vision désabusée de la vie ?

    Difficile à dire.

     

    « Les oiseaux : L'aigle », Bernard Buffet, 1959 DR.

    Éclectisme des influences

    Avec la série « Oiseaux », répartie en sept peintures monumentales, le visiteur est encore une fois décontenancé. Ces immenses oiseaux, aux couleurs vives, surplombent des femmes dénudées, comme livrées à leur merci ou prêtes à s’accoupler.

    Rappelant le goût de Bernard Buffet pour les sciences naturelles et révélant son attrait pour la mythologie, en l’occurrence la rencontre entre Léda et le Cygne, ces peintures ont suscité un scandale lors de leur présentation au public, certains visiteurs allant jusqu’à porter plainte pour outrage aux bonnes mœurs.

     

    « Kabuki : Ren Jishi », Bernard Buffet, 1987, DR.

    Un autre thème cher au peintre est Paris, la diversité de ses quartiers et ses rues. Il croquera souvent Pigalle, ses cabarets et sa vie nocturne qui rappellent le XIXe siècle de Toulouse-Lautrec. Un lieu hautement symbolique pour Bernard Buffet puisqu’il y a vu le jour et y vivra les dix dernières années de sa vie.

    La fin de l’exposition offre une nouvelle surprise avec des tableaux que Buffet a réalisés après avoir découvert le Japon, pays qui lui a consacré un musée de son vivant et dont la tradition a exercé sur lui une fascination durable.

    Le tableau dédié au théâtre kabuki reflète l’étrangeté de la rencontre entre un peintre occidental et une esthétique radicalement étrangère. Tout en gardant son style, Buffet semble plonger sans retenue dans le mystère japonais.

     

    « Le Sacré-Coeur de Montmartre », Bernard Buffet, 1989, DR.

     

     

    Au commencement était Montmartre

    Niché au sommet de la fameuse butte, le musée Montmartre est éminemment approprié pour une exposition sur Bernard Buffet, puisque le peintre naquit place Pigalle en 1928 et habita dans la maison voisine du musée pendant dix ans. C’est dire son attachement viscéral pour ce lieu !

    L’endroit est une invitation à redécouvrir l’histoire du quartier, son ambiance et sa bohème artistiques des XIX et XXe siècles. Auguste Renoir y loua un atelier en 1876 et nombre d’artistes y vécurent tels que Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, Raoul Dufy ou encore Pierre Reverdy.

    Serait-ce l’effet du lieu ? Ou de son admiration et de son amour pour sa femme Annabel ? Mais ces deux éléments biographiques, qui constituent le cœur de l’exposition, la teintent d’une dimension profondément humaine et vivante.

     

    « Portraits d'Annabel », Bernard Buffet, 1958, DR.

     

     

    Du rez-de-chaussée au troisième étage du musée, Annabel Schwob, sa femme depuis 1958, est omniprésente. Le visiteur se retrouve dans la peau du peintre dévorant des yeux son épouse et modèle. Comment ne pas y voir une déclaration d’amour de chaque instant ?

     

     

    Les photos parlent d’elles-mêmes : il la trouve belle, elle est sa muse, son égérie et sa joie de vivre. 

    Leur relation est si intense qu’il lui dédie en 1961 une exposition : dix-huit portraits, tous de même dimension et exposés à la galerie parisienne David et Maurice Garnier.

    Qu’il la représente en robe du soir ou en blue-jean, de face ou de profil, Buffet s’approprie les traits d’Annabel et épuise comme toujours son sujet en le travaillant continûment et sans relâche.

    Si cette exposition comprend elle aussi toute une série de clowns et personnages de cirque, allégorie des parades bouffonnes du Cirque Médrano qui se produisait au pied de la Butte-Montmartre depuis la fin du XIXe siècle, un tableau ne manque pas d’intriguer. Il représente une table de jeu, de celles dont sont équipés les casinos, à un détail près : y figure également un crâne. Serait-ce une référence aux vanités du XVIIe siècle ?

     

    « Le grand jeu », Bernard Buffet, 1977 DR.

     

     

    De nombreuses peintures, consacrées notamment à des insectes, achèvent ce parcours intime et rappellent la passion de Buffet pour les sciences naturelles. L’entomologiste qui sommeillait en lui a peint de plantureux arthropodes avec moult détails anatomiques. Une passion de jeunesse qu’il aura gardé sa vie durant.

    Vanessa Moley

     

    Biographie de Peintres:  Bernard Buffet - Chaillot et Montmartre : les secrets de l'artiste

     

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    Bernard Buffet (1928 - 1999)

     

    L’artiste qui ne croyait pas à l’inspiration

     

     

    Doté d’un don qu’il décide de cultiver dès le collège, Bernard Buffet accède à la célébrité et à la richesse très jeune, dans les années d'après-guerre. 

    Adulé à la trentaine, il restera fidèle à un style qui lui vaudra, quelques années plus tard et jusqu’à sa mort, une mise à l’écart, voire un ostracisme flagrant de la part des milieux artistiques et intellectuels français. C’est à l’étranger, au Japon, où un musée lui est consacré, et en Russie, que son talent continuera d’être admiré. Deux expositions parisiennes, à Paris, en 2017, amorcent sa redécouverte...

    Vanessa Moley
     

    « La Déposition de croix », Bernard Buffet, 1946, DR.

    La peinture, rien que la peinture !

    Bernard Buffet prend très tôt son destin en main montrant une détermination et une volonté farouches. Au collège, seules deux matières intéressent notre futur artiste : les sciences naturelles, pour lesquelles il obtient le premier prix, et le dessin. En classe de quatrième, il prend une décision radicale : arrêter ses études pour suivre les cours de dessin de la ville de Paris.

     

    Autoportrait, « Le peintre et son modèle », 1948, Bernard Buffet, DR.

    En 1944, il est reçu au concours de l’École des beaux-arts. Du fait de son jeune âge – il a à peine 16 ans – il doit obtenir une dérogation pour intégrer la prestigieuse institution. Un an plus tard, il obtient le prix des travaux d’atelier mais là encore, il bifurque inopinément et délaisse l’école pour la visite des musées. Au Louvre, il est fasciné par le tableau du baron Gros montrant Bonaparte visitant les Pestiférés de Jaffa.

    Ses premières peintures, des rues de Paris réalisées sur divers tissus, s’inspirent des paysages de Maurice Utrillo et Alphonse Quizet. Son style se dévoile et s’affirme avec son premier tableau La Déposition de croix qu’il peint dans l’atelier qu’il partage avec son ami Robert Mantienne, à Massy-Palaiseau. La même année, sa mère meurt. Ce décès, alors qu’il n’a que dix-sept ans, le marquera durablement.

    Travaillant sans relâche, il se forge une devise à laquelle il restera fidèle toute sa vie : « Tout peindre, tout le temps pour se mettre à distance et en décalage. » Un an plus tard, il expose pour la première fois au Salon des moins de trente ans avec un autoportrait.

    L’année suivante sera déterminante. Au Salon d’automne, son tableau L’homme accoudé est remarqué par la critique ; il réalise sa première exposition personnelle dans une librairie parisienne et fait une entrée discrète dans le cercle des peintres qui comptent : Raymond Cogniat achète Le Coq mort pour le compte de l’État.

     

    « Le Coq Mort », Bernard Buffet, musée Cantini, Marseille, DR.

    Rencontres décisives

    Pierre Bergé, Bernard Buffet, 1950, collection Pierre Bergé, DR.

     

     

    Il a vingt ans en 1948. Cette année marque un tournant dans sa carrière. Le docteur Maurice Girardin, collectionneur influent, lui achète plusieurs œuvres et Emmanuel David devient son marchand.

    Sa notoriété grandissante pousse la galerie Drouant-David à lui consacrer une exposition personnelle qui sera renouvelée chaque année tandis que ses œuvres sur papier sont exposées à la galerie Visconti dirigée par Maurice Garnier, son indéfectible ami durant un demi- siècle.

    Deux ans plus tard, il expose déjà dans des galeries à New York, Londres, Bâle, Copenhague et Genève.

    Il rencontre aussi Pierre Bergé, alors marchand de livres rares, qui devient son compagnon jusqu’en 1958 et va gérer sa carrière.
    « Je l'ai rencontré dans un café. Il m'a dit : " Vous savez jouer au 421 ? " Je lui ai dit "non". Et il m'a rétorqué : "Eh bien je vais vous apprendre". C'est parti comme ça » (Les jours s'en vont je demeure, Pierre Bergé, 2003, Gallimard).

     

    Bernard Buffet, Autoportrait, 1956

    En 1952, pour ses expositions annuelles, Bernard Buffet commence à peindre par thème. Le premier est La Passion du Christ. Il participe à la Biennale de Venise avec La Crucifixion.

    En 1955, il franchit une nouvelle marche vers le succès : une enquête du magazine Connaissance des arts le désigne comme le peintre en tête de la jeune école contemporaine. 

    À vingt-huit ans, Paris-Match le montre vivant luxueusement dans sa demeure de Manine à Domont, près de Montmorency. Le reportage fera débat mais n’affectera pas sa carrière. Un an plus tard, il illustre La Voix humaine de Jean Cocteau

    La diversité de ses collaborations ne tient pourtant pas à la spontanéité : «  Je ne crois pas à l’inspiration, je ne suis qu’un besogneux  », dira Bernard Buffet.

     

    « La porte Saint-Martin », Paris Xe, lithographie, Bernard Buffet, DR.

    Première rétrospective à 30 ans

    Les années 50 voient son talent porté au pinacle. En 1957, l’exposition de ses peintures de paysages parisiens éblouit les écrivains et les jeunes talents qui gravitent dans son entourage. Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Boris Vian, Françoise Sagan... n'ont de cesse de faire l'éloge de ses tableaux.

    Les propos de Cocteau sont sans équivoque : « L’exposition est de premier ordre. Un grand nombre d'images d'un Paris tout nu, écorché vif, lavé des hommes. La preuve qu'un peintre est un peintre, c’est lorsque tout se met à ressembler à sa peinture. Après notre visite chez David (le soir tombait) je voyais la ville avec l’œil de Bernard. »

     

    « Portrait d’Annabel », Bernard Buffet, 1958-1959, DR.

    L’année suivante, Bernard Buffet a trente ans : c’est la consécration ! La galerie Charpentier organise sa première rétrospective, il est membre du jury du festival de Cannes et il rencontre Annabel Schwob, l’une des égéries de Saint-Germain-des-Prés, qui devient son épouse en décembre 1958. 

    Le général de Gaulle, un revenant de la Seconde Guerre mondiale, accède au même moment au pouvoir suprême.

    Mais lui n'en a cure tout comme ses amis de la jeunesse dorée qui animent les soirées parisiennes et font les beaux jours de Saint-Tropez.

    Dans les années 60, son étoile parisienne pâlit, car l’intelligentsia artistique lui reproche de réaliser des tableaux en série et de se soumettre à la facilité. Bernard Buffet n’en a cure : « La haine dont je suis entouré est pour moi le plus merveilleux cadeau que l’on m’ait fait ». Il continue de peindre et collabore avec des magazines comme Stern pour qui il réalise le portrait de Mao Tsé-Toung (Mao Zedong).

     

    « L'Institut et le Pont des Arts », 1978, Bernard Buffet, timbre, valeur faciale 3 francs, DR.

    En 1970, le voilà chevalier de la Légion d’honneur. Si la France le méprise, sa renommée atteint désormais même le Japon où le collectionneur Kiichiro Okano fonde en 1973 un musée Bernard Buffet.

    Les honneurs officiels continuent par ailleurs de pleuvoir : en 1974, il est élu à l’Académie des Beaux-Arts et, en 1978, sollicité pour réaliser un timbre, L’Institut et le Pont des Arts

     

    « Japonaise », lithographie sur pierre, Bernard Buffet, 1981, DR.

    L’artiste attend 1980 pour visiter enfin son musée au Japon. Le pays le captive aussitôt et deviendra une source d’inspiration. 

    C’est désormais à l’étranger qu’il est célébré au fil des années 90. Promu au grade d’officier de la Légion d’honneur en 1993, plusieurs expositions lui sont consacrées, au musée Pouchkine à Moscou et à l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, mais aussi à la Documenta-Halle de Kassel.

    Cependant, au cœur de cette effervescence, il doit faire face à la maladie de Parkinson.

    Ne supportant pas les atteintes irrémédiables qui le diminuent et la perspective de renoncer à ce qui constitue l’unique raison de son existence, il choisit de se donner la mort, le 4 octobre 1999, dans son atelier de Tourtour en Provence.

     

    Biographie de Peintres:  Bernard Buffet (1928 - 1999)

     

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