• Photos-Villes du Monde 5: Marseille en bord de mer : de l'Estaque aux Goudes

     

    Marseille en bord de mer : de l'Estaque

    aux Goudes

     

    Par Philippe Bourget
     
    source : Détours en France n°229
     
     

    De l’Estaque aux Goudes, Marseille déroule 33 kilomètres de côtes. L’occasion, par la mer, de (re)découvrir les grands standards de la ville et les histoires plus intimes, façon de s’affranchir des poncifs ressassés. Un cabotage instructif résumé ici en une dizaine de lieux, des plus évidents au plus incertains.

     

    L'Estaque, un petit village au Nord

     

    L'Estaque à Marseille
     
     

    C’est l’un des deux bouts de la ville, le terminus de la navette maritime L’Estaque-Vieux-Port. Un village marseillais dont les maisons aux toits rouges s’adossent au pied de la colline de la Nerthe, petit massif calcaire qui bloque le vent de mer. Pouvoir découvrir la ville depuis la mer, c’est esquisser avec précision sa géographie, en appréhender son immensité et embraser son imaginaire. Le bateau pris depuis les quais du Vieux-Port croise tout près de la Côte Bleue. Le tracé du chemin de fer ourle les falaises des petites calanques et le train glisse sur un viaduc, en route vers Niolon et Carry-le-Rouet… De port de pêche traditionnel, quand Cézanne, Renoir, Dufy, Braque ou Derain y posaient leurs chevalets et s’extasiaient devant la lumière méditerranéenne, L’Estaque est devenu port de plaisance – les nombreux voiliers en témoignent. Derrière les arbres, on devine la petite vie des quais. Là se trouvent les restaurants de quartier (La Plage, La Rade…) où l’on mange simple et sans façon, poisson ou aïoli. Les belles villas bourgeoises s’alignant le long du chemin de la Nerthe côtoient un habitat populaire que le réalisateur Robert Guédiguian a magnifiquement filmé, avant de laisser place à des carrières et au tunnel du Rove, sombre galerie effondrée qui reliait jadis la mer à l’étang de Berre. Ici, on se remémorera quelques scènes de Marius et Jeannette en grimpant la montée Casteljon, en flânant place de Saint-Henri où le cinéma  l’Alhambra  est le QG de Guédiguian ou place du Centre où les petites maisons serrées rappellent l’arrivée des premières générations d’immigrés italiens. L’Estaque, cet autre Marseille.

     

     

    La skyline de Marseille, miroir urbain 

     

    La Skyline de Marseille
     
     

    Bienvenue face à la vitrine de Marseille, celle des années Gaudin, qui ont vu muter les quais portuaires d’Arenc en tours, logements et hôtels premium, les Docks de la Joliette se refaire une beauté et l’Esplanade du J4 devenir un haut lieu culturel. Derrière les ferries à tête de Maure de la compagnie Corsica Linea se dressent la fameuse tour CMA-CGM (signée Zaha Hadid), troisième armateur mondial, le récent building La Marseillaise (signé Jean Nouvel)le CEPAC Silo (espace culturel), l’hôtel Golden Tulip… D’autres projets sont en gestation. Certains reprochent à l’ancienne municipalité  et à ce chantier, nommé  Euroméditerranée (financé par l’Union européenne), l’argent dépensé au profit des promoteurs plutôt que pour les quartiers nord, qui en auraient bien besoin. Reste que cette devanture a dynamisé  l’attractivité touristique de la ville. L’afflux de visiteurs a essaimé sur les restaurants, les cafés, les taxis. Chacun jugera… Notre bateau s’éloigne de cette polémique et du bâtiment des Docks de la Joliette (réhabilité danss les années 1990) pour aborder le hot spot culturel de la ville…

     

     

    Le MuCEM et la Villa Méditerranée, les totems culturels

     

    Le MuCEM à Marseille
     
     

    Bâti à l’occasion de Marseille 2013, Capitale européenne de la Culture, le MuCEM de l’architecte Rudy Ricciotti trône sur l’esplanade du J4, là où accostent les petits navires luxueux de croisière. Le MuCEM, c’est avant tout cette résille extêrieure qui est la signature graphique du bâtiment. La muséographie et les expositions, consacrées aux cultures méditerranéennes, font autorité. Une haute passerelle traverse un chenal et rejoint le fort Saint-Jean, seconde partie du musée. À côté du MuCEM se tient la Villa Méditerranée, ovni culturel et architectural : son porte-à- faux de 40 mètres serait un des plus longs au monde accessibles au public. Une réplique de la grotte Cosquer, célèbre caverne sous-marine découverte en 1991 dans les calanques de Marseille, doit y voir le jour en 2022.

     

    Le Vieux-port, cœur identitaire

     

    Le Vieux Port et Notre Dame de la Garde à Marseille
     
     

    On entre dans le Vieux-Port comme dans un cocon. Protégé à gauche par le fort Saint-Jean et sa tour du roi René (XVe siècle), à  droite par le fort Ganteaume précédé de l’imposant palais du Pharo que fit bâtir Napoléon III, on comprend mieux pourquoi les Phocéens ont choisi ce havre pour fonder la ville, 600 ans avant notre ère. Un port rectangulaire parfait, à l’abri des coups de vent et des pirates.  3 800 bateaux peuvent y stationner et une dizaine de structures gèrent les pontons, éclaire Yannick Long, patron-skipper de Localanque, ex-biologiste moléculaire ayant tout lâché pour ce job-passion de la mer. C’est l’originalité de ce port. Les estacades sont concédées  des syndicats (patrons pêcheurs, plaisanciers…) qui gèrent leur bout de quai. On y peint, répare et calfate les petits bateaux et voiliers, face aux cafés-restaurants-terrasses des quais du Port et de Rive-Neuve. Depuis l’eau, le regard sur la ville change. Au loin, la Canebiére paraît un autre monde ; la vie dans les logements des rives, un sacrifice. Liberté et solidarité des gens de mer : on salue un plaisancier, le capitaine de la navette du Frioul, un pêcheur. Seuls les marins savent ce que vaut réellement Marseille… Et on n’oubliera pas de s’offrir la plus courte croisière existante (283 mètres, 5 minutes chrono) : embarquer à bord du célèbre ferry boîte, qui relie depuis 1880 la mairie (quai du Port) à la place aux Huiles (quai Rive-Neuve).

     

    La Corniche et les plages du Prado, le « Hollywood-sur-Marseille » 

     

    La Corniche de Marseille
     
     

    Le bateau s’échappe du Vieux-Port et de sa passe étroite pour filer au sud, laissant au large le château d’If et les îles du FrioulDepuis le bastingage, on observe le spectacle offert par la corniche. Passé le cap du Pharo, voici la plage des Catalans, située à une enjambée du centre-ville, bordée par le célèbre Cercle des nageurs de Marseille, une fabrique de champions. Débute alors la Corniche Kennedy, boulevard-serpent de mer tendu jusqu’aux plages du Prado, 4 km plus loin. Aussi encombré de voitures que ses trottoirs le sont de promeneurs et de joggeurs, il ouvre une vue magique sur la Grande Bleue. Le boulevard croise aussi une brochette de lieux cultes ou en passe de le devenir. Prenez le vallon des Auffes, ce minuscule havre abrité du bruit de la corniche, sous le viaduc routier ; les Auffes, c’est un refuge improbable, une escale de tranquillité où les Marseillais se baignent l’été en famille dans la piscine naturelle d’eau de mer, au bas du viaduc. Village de cabanons, logements de poche négociés à prix d’or (quand il s’en vend…), le vallon est également une étape gourmande, les bouillabaisses et supions de  Chez Jeannot, Fonfon ou L’ Épuisette, parmi les meilleures adresses de Marseille, sont quasi légendaires ! Au fil de la Corniche, vous découvrirez également : l’anse de Malmousque, calanque lilliputienne avec sa crique de sable blanc et ses ruelles bordées de maisonnettes colorées ; Le Péron, bonne table gastronomique accrochée à son rocher face à la digue des Catalans ; le quartier-village d’Endoume ; les villas et appartements de luxe des collines de Bompard et du Roucas-Blanc… Au-dessus, Notre-Dame-de-la-Garde veille sans faire de manière sur ce joyeux barnum. Preuve s’il en est de cette vie populaire : les plages artificielles du Prado sont envahies l’été de jeunes descendus des quartiers sur leur scooter jusqu’à l’Escale Borély.

     

    Malmousque, un quartier de rêve

     

    Le quartier de Malmousque à Marseille
     
     
    Sous le quartier d’Endoume et la Corniche Kennedy se tient un quartier avancé sur la rade, Malmousque. Des ruelles tranquilles et des escaliers se faufilent entre des pavillons de charme, livrant une vie résidentielle de village désormais inaccessible au commun des mortels. La rue Boudouresque conduit droit à la calanque, micro-chancrure surmontée de cabanons. Le sud du quartier regarde droit dans les yeux la rade et accueille ses plus belles maisons, dont celle du chef triplement étoilé du Petit Nice, Gérald Passadat, ou de l’acteur Kad Merad.
     
     

    De la pointe rouge à la Madrague de Montredon, l'esprit grand sud.

     

    Le petit port de la Madrague à Marseille
     
     

    Un coup de gaz et le bateau reprend sa navigation au sud, vers les calanques. Derrière le trait de côte, surnage la silhouette courbe de l’Orange Vélodrome, monument iconique à la gloire du Dieu l'OM.  Au-delà de la Pointe-Rouge et de son vaste port de plaisance, l’habitat se fait soudain plus diffus. Les collines reprennent leur teinte calcaire gris, piquées d’arbres aux troncs noueux. Marseille s’effile et devient hameaux. D’anse en pointe, ce littoral rappelle qu’il fut longtemps réservé aux gens modestes. Il en reste un décorum foutraque de cabanons plus ou moins rénovés, de néo-villas, de petits immeubles résidentiels anciens… Chacun sa plage, son restaurant, ses habitudes : l’anse du Phocéen et son centre de rééducation ; l’anse des Sablettes et son restaurant Le Cabanon de Paulette ; la plage de Colombet au pied de falaises couvertes de graffitis ; la plage de la Verrerie (ou Bonne Brise) et sa rangée de cabanons à deux niveaux… Des lieux peu visibles de la route : il faut se garer, dévaler des marches de guingois pour espérer toucher le sable. Le bateau dérive ainsi, jusqu’au petit port de la Madrague de Montredon, miracle de village marin dans la seconde plus grande ville de France. C’est ici que la grande navigatrice Florence Artaud (1957-2015) avait posé son havresac et amarré au petit port son Argade II.  

     

    L'île Degaby au large de Marseille
     
     
    Météore rocheux posé 300 mètres au large du quartier de Malmousque, cet îlot abrite un petit fortin. Construit sous Louis XIV, le fort de Tourville devint mondain lorsqu’en 1914, un riche industriel l’offre à sa future épouse, Liane Degaby, vedette de music-hall. Un siècle plus tard, il brille toujours. Transformé en lieu  évènementiel, il accueille réceptions et séminaires. Les heureux clients du C2, hôtel cinq étoiles marseillais, peuvent aussi y débarquer et passer la journée avec vue à 360°, sur la ville et la mer.
     
     

    Les Goudes et le cap Croisette, le paradis rocheux

     

    Le port des Goudes à Marseille
     
     

    Au-delà de la Madrague de Montredon, la roche blanche vous aveugle sous la lumière et la Méditerranée se joue d’un infini de bleu. Si une plaque de rue indiquant Marseille 8e arrondissement ne nous ramenait pas à la réalité urbaine, nous nous croirions du côté des îles éoliennes… La fin du parcours n’appartient déjà plus à la ville. Le rocher a pris le dessus. On oublie les calanques aux roches élimées de Saména et du Mauvais Pas et leur passé industriel (plomb, soude, verre, des vestiges de bâti surnagent dans la colline) pour se faufiler dans le plus secret des ports marseillais, l’Escalette. Une anfractuosité rocheuse transformée en casemate circulaire, un port-forteresse où mouillent une quinzaine de bateaux. Il reste à rejoindre le bout du bout de la ville – après, c’est le massif des Calanques : Les Goudes et le Cap Croisette. Voilà le dernier port-village, ses maisons au ras de l’eau, ses bateaux (dont quelques rares pointus marseillais) drossés à sec sur le roc. Si vous accostez, foncez déguster du poisson grillé Chez Paul, un must. Les Goudes n’ont vraiment été habitées qu’après la guerre. Avant, ce n’était que des cabanons, rappelle Yannick Long, natif de La Belle-de-Mai. Les plus fortes descriptions des Goudes, on les doit sans aucun doute à l’écrivain marseillais Jean-Claude Izzo (1945-2000) : « Sur le port des Goudes, vous aurez percé la vérité de Marseille ». Encore un coup de gouvernail et nous voici au terme, le cap Croisette. Devant nous, les aiguilles calcaires de l’île Maïre, l’anse de la Maronais. Il est temps de se baigner, de déguster une coupe de champagne. Nous ne sommes plus à Marseille, mais dans le parc national des Calanques… et déjà en vacances.

     

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