• Santé: HIROSHIMA + vidéo

     

    HIROSHIMA

    Annie Thébaut-Mony : "Le risque des faibles doses de radiations doit être réévalué"


    Sciences et Avenir
     

    Alors qu'on commémore les 70 ans des explosions atomiques d'Hiroshima et Nagasaki des 6 et 9 août 1945, retour sur les effets des radiations, bien plus complexes que ce qu'ont montré les observations réalisées sur les survivants des bombardements au Japon.

     

    Le fameux dôme d'acier d'Hiroshima, seule structure à avoir résisté à l'explosion du 6 août 1945 qui ravagea la ville et quelque 70.000 habitants en quelques secondes. ©Stanley Troutman/AP/SIPA
    Le fameux dôme d'acier d'Hiroshima, seule structure à avoir résisté à l'explosion du 6 août 1945 qui ravagea la ville et quelque 70.000 habitants en quelques secondes. ©Stanley Troutman/AP/SIPA
     

    Pour Annie Thébaud-Mony, directrice de recherches honoraires à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et spécialiste en santé publique, les effets biologiques des radiations ionisantes sont plus complexes et plus diversifiés que ce qu'ont montré les observations réalisées sur les survivants des bombardements atomiques au Japon, qui servent pourtant de référence.

     

    Il y a 70 ans, en août 1945, Hiroshima et Nagasaki, au Japon, étaient détruites par une bombe atomique. Les observations épidémiologiques réalisées sur les survivants ont servi à établir les effets des radiations ionisantes sur l’organisme. Elles partent du postulat que le risque est proportionnel à la dose, aussi faible soit-elle. Qu’en pensez-vous ?

     

    Les effets biologiques des irradiations sont désormais connus pour être beaucoup plus diversifiés et complexes que ne le suggère le « modèle linéaire sans seuil » dont vous parlez. Selon ce modèle adopté par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR), il n’existe aucune dose en deçà de laquelle il n’y aurait pas d’effet. Pour d’autres, il n’y aurait aucune conséquence pathologique en dessous de 100 millisieverts (mSv). Or des études ont montré que les effets sont, certes, liés à l’exposition aux radiations, mais de façon dite non linéaire. Et il existe aujourd’hui suffisamment d’éléments de preuve — théoriques et empiriques — pour penser que la relation entre la dose de rayonnement et la réponse biologique est peu susceptible d’être linéaire pour les faibles doses. Selon ces études, la réponse biologique part de zéro (dose nulle) et augmente ensuite fortement pour s’aplanir à des doses plus élevées. Ainsi, selon moi, l’hypothèse linéaire est non seulement non valide, mais elle contribue à obscurcir la lecture de l’évaluation du risque associé aux faibles doses car elle ne rend pas compte des effets pathogènes radio-induits chez les êtres humains.

     

    Quels sont ces effets pathogènes ?

    L’impact biologique des radiations ionisantes dépend de leur type. Il est plus élevé avec les particules alpha qu’avec les rayons gamma ou X et les particules bêta. Mais toutes coupent les doubles brins de l’ADN et entraînent des mutations génétiques. Elles détruisent ou modifient aussi indirectement les systèmes enzymatiques de réparation et de réplication de l’ADN et engendrent la production secondaire de radicaux libres le long des trajectoires des particules radioactives. Ces mutations conduisent à des troubles graves de la reproduction, à l’apparition de malformations et de maladies radio-induites chez les enfants et petits-enfants de personnes irradiées, voire au-delà.

     

    Aberrations chromosomiques et mutations génétiques

    Un autre mécanisme intervient : l’instabilité génomique, qui se caractérise par l’apparition différée dans les cellules irradiées d’aberrations chromosomiques et de mutations génétiques. La descendance d’une cellule irradiée peut ainsi devenir plus sensible aux radiations que celle-ci. Enfin, les dommages pourraient aussi être liés à l’« effet de voisinage » : des cellules non irradiées, proches des cellules directement touchées par l’irradiation, peuvent subir certains effets, sans doute via une perturbation des systèmes de communication intercellulaires. Pour les faibles doses, d’autres perturbations connexes peuvent apparaître, comme celles affectant le système immunitaire et qui pourraient expliquer la plus grande fréquence des infections et des cancers, tels que décrits dans les publications concernant les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl, en avril 1986, en Ukraine.

     

    Estimez-vous que l’on tient assez compte des faibles doses en cas d’accident nucléaire ?

    Non, car on devrait considérer non seulement les radionucléides projetés dans l’atmosphère au moment de l’accident — puis au cours des premiers jours et semaines qui suivent — mais aussi ceux libérés à faibles doses de façon continue par la suite et que l’on retrouve dans la contamination radioactive de l'air, de l'eau et du sol. Ainsi, depuis 1987, les principaux radionucléides issus de la catastrophe de Tchernobyl sont constitués par le césium-137 et le strontium-90. Or, alors que la part de Cs-137 dans les premiers jours après l’explosion de la centrale ne dépassait pas 4% de l’irradiation externe totale, elle a constitué vingt ans après la catastrophe 95% de la dose totale d’irradiation humaine. Or, 40% des territoires de l’Europe ont été exposés au Cs-137 de Tchernobyl dont la contamination ne durera pas moins de 300 ans pour ce radio-élément !

     

    Pensez-vous que le risque des faibles doses est suffisamment pris en compte en radiothérapie et en imagerie ?

    Les limites d’exposition déduites des études sur les survivants de Hiroshima ont été fondées sur des doses que les victimes ont reçues en moins d’une heure lors de l’explosion nucléaire alors que les expositions délivrées lors d’une radiothérapie sont répétées et étalées dans le temps. Ces valeurs limites constituent un compromis dans le cadre d’une équation bénéfice-risque. Sachant que les tissus cellulaires réagissent diversement aux radiations, il convient d’être vigilant sur le risque de cancer et autres maladies radio-induites dues aux expositions médicales, y compris l’imagerie par scanner, particulièrement pour les enfants chez qui ce risque est systématiquement plus élevé que chez les adultes. Ce critère devrait donc être intégré dans le choix de la thérapeutique.

     

    Quelles seraient les actions prioritaires à conduire pour une nouvelle appréciation du risque?

    J’estime que tous les travailleurs de l’industrie nucléaire française, salariés et personnel de maintenance, devraient bénéficier d’un suivi médical post-exposition et post-professionnel gratuit, systématique et obligatoire. Il permettrait de consigner au fil du temps l’apparition de cancers et autres pathologies radio-induites et d’en déterminer la fréquence en fonction des postes de travail de chacun. À l’instar des centres de dépistage du cancer du sein, il s’agirait de mettre en place des centres départementaux pluridisciplinaires de suivi post-exposition aux rayonnements ionisants, où serait mené un travail de reconstitution du parcours professionnel, rétrospectif et prospectif. Par ailleurs, comme je l’indiquais en 2000 (2), la détermination du véritable impact de la radioactivité passerait parallèlement par l’étude de la spécificité de chaque radionucléide sur différents tissus et organes, recherches qui ne sont toujours pas menées actuellement.

     

    (1) Fondatrice du Giscop93 (Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle).

    (2) L’Industrie nucléaire. Sous-traitance et servitude, Éditions Inserm/EDK.

    Pin It

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :