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    Clovis et les Mérovingiens

     

    Une civilisation plus lumineuse qu'on ne croit

     

     

    Clovis et ses descendants ont régné entre les Pyrénées et l'Elbe pendant près de 250 ans (VIe-VIIIe siècles), à la charnière entre l'empire romain et le Moyen Âge.

    Ils laissent le souvenir de rois incultes et brutaux à la tête de contrées sauvages. C'est du moins l'enseignement transmis par leurs successeurs carolingiens et, mieux encore, par les historiens du XIXe siècle, au premier rang desquels Augustin Thierry.

     

     

    Portrait d'artiste de la dame de Grez-Doiceau (Brabant wallon, milieu du VIe siècle), avec les bijoux retrouvés dans sa tombe (Benoît Clarys, 2005), DR

    Cet érudit publie en 1833 Récits des temps mérovingiens, un livre inspiré de l'Histoire des Francs de Grégoire de Tours (VIe siècle).

    Sous la IIIe République, il va nourrir le ressentiment national à l'égard des Allemands. On assimile en effet ceux-ci à l'aristocratie franque qui aurait asservi le peuple gaulois.

    L'archéologie moderne permet de tempérer ce jugement, voire de le contredire. Elle nous rend cette époque mérovingienne étonnamment proche de nous et par certains côtés aimable.

    André Larané
     
     

    Dans la continuité de Rome

    Au milieu du Ve siècle, la pars occidentalis de l'empire romain, que l'on a coutume d'appeler Empire d'Occident, est mal en point.

    Après avoir vu passer des cohortes de Germains venues d'outre-Rhin, la voilà ravagée par les Huns d'Attila et leurs adversaires, les « Romains » de Syagrus et leurs alliés francs. Les impôts ne rentrent plus et les villes se racornissent, leurs habitants se serrant derrière de hautes murailles, sous la protection de leur évêque. Rien de tel avec l'Orient romain : au carrefour des courants commerciaux entre l'Europe, l'Afrique et l'Asie, l'Asie mineure, la Syrie et le Proche-Orient, protégés des incursions germaniques par les puissantes murailles de Constantinople et le détroit du Bosphore, jouissent d'une prospérité plus grande que jamais.

     

    Fragment en ivoire d'un diptyque consulaire byzantin au nom de l'empereur Anastase, consul en 517 (cabinet des Médailles, Paris). Clovis a pu revêtir le même costume en 508.

    Quand est renversé le dernier titulaire de l'Empire d'Occident, en 476, son collègue d'Orient refait autour de sa personne l'unité de l'empire. Mais il ne s'agit que d'une fiction.

    Faute de pouvoir faire autrement, l'empereur de Constantinople délègue son autorité aux chefs barbares qui tiennent l'Occident. C'est d'abord Odoacre qui, en Italie, a renversé le dernier empereur et reçoit le titre de patrice des Romains.

    De leur côté, les Francs, installés en Rhénanie et dans le nord de la Gaule au début du Ve siècle, soumettent les régions entre Seine et Moselle sans cesser de se présenter comme de fidèles alliés de l'empereur. 

    À partir de 481, ils étendent leur autorité jusqu'à la Garonne et l'Elbe. Leur roi Clovis s'impose à tous les autres chefs barbares par la force de ses armes.

    Il rallie aussi à lui les élites gallo-romaines en adoptant leur religion catholique et, en 508, reçoit avec fierté de l'empereur le titre de consul. Il n'y a donc pas de rupture avec l'héritage gallo-romain et la latinité.

     

    La descendance de Clovis

    Quand meurt Clovis en 511, son royaume est partagé entre ses quatre fils pour en faciliter l'administration et éviter autant que faire se peut les querelles fratricides. Ses différentes parties referont d'ailleurs leur unité au gré des héritages et, jusqu'à Charlemagne et au-delà, on continuera d'évoquer le Regnum Francorum ou royaume des Francs comme un ensemble « national ».

     

    - Thierry 1er :

    Solidus ou monnaie en or à l'effigie de Théodebert (534-548), Verdun, Musée de la Cour d’or

    Thierry (ou Theodoric), fils aîné de Clovis, né d'une concubine, reçoit la partie orientale du royaume, avec Reims comme capitale et l'Auvergne comme annexe. Énergique, il étend le royaume des Francs aux dépens des Thuringiens et impose tribut aux Saxons.

    Son fils Théodebert lui succède en 534 puis son petit-fils Théodebald en 548.

    À une lettre de l'empereur Justinien, Théodebert 1er répond avec orgueil : « Voici ce que vous avez daigné nous demander quelles provinces nous habitons et quels sont les peuples qui sont soumis à notre autorité.
    [...] Par la miséricorde de notre Dieu, les Thuringiens ont été soumis avec succès et leurs provinces annexées, la lignée de leurs rois éteinte ; le peuple des Suèves du nord nous a été soumis, offrant son cou à notre majesté ; en outre, par la bonté de Dieu, les Wisigoths habitant en Francie, la région septentrionale de l'Italie, la Pannonie, les Saxons aussi et les Euthions se sont livrés à nous de leur propre volonté. Sous la protection de Dieu, notre pouvoir s'étend du Danube et des frontières de la Pannonie jusqu'aux rivages de l'Océan. »

    - Clodomir :

    Clodomir, deuxième fils de Clotilde, reçoit la région d'Orléans. Il est tué le 25 juin 524, à Vézeronce, près de Vienne, en combattant le roi des Burgondes, Gondemar. Ses frères se partagent aussitôt son domaine après avoir pris soin de liquider ses fils (l'un d'eux, Clodoald, échappe au massacre ; il entre dans les ordres et fonde près de Paris un monastère qui prend son nom, Saint-Cloud).

    - Childebert :

    Chilbebert, autre fils de Clotilde, est le plus chanceux. Il reçoit Paris et les régions de l'Ouest. Il réussit aussi à enlever aux Wisigoths le bassin de la Garonne et aux Burgondes, en 534, les régions rhodaniennes et la Provence. À sa mort, en 558, il fait figure de véritable chef de la famille. On lui doit près de Paris l'église Saint-Vincent, plus connue aujourd'hui sous le nom de Saint-Germain-des-Prés.

    - Clotaire 1er :

    Plus jeune fils de Clovis et Clotilde, Clotaire, né vers 500, reçoit les régions littorales de la mer du Nord et de la Manche, avec Soissons pour capitale. Ce n'est pas le meilleur lot. Mais du fait de sa jeunesse, il va survivre à ses frères et à son petit-neveu Théodebald. Il refait l'unité du royaume en 558, à la mort de Childebert.

    À sa mort, en 561, le royaume des Francs est à nouveau partagé entre ses quatre fils. La suite est une succession sans fin de querelles successorales dignes du feuilleton Game of Thrones. Les enjeux sont des territoires aux frontières fluctuantes.

     

    Histoire des Francs par Grégoire de Tours (540-594), le mot Austrasii apparaît à la troisième ligne (parchemin du VIIe siècle, médiathèque de Cambrai)

    Le principal est l'ancien royaume de Thierry 1er qui occupe l'essentiel de la province romaine de Belgique Seconde.

    Sous la plume de Grégoire de Tours, vers 590, il prend le nom d'Austrasie ou « Territoire de l'Est ». Son grand rival est l'ancien royaume de Childebert, désormais connu sous le nom de Neustrie ou « Nouveau Territoire ». Notons que ces appellations sont purement administratives comme aujourd'hui Hauts-de-France et Grand-Est.

    Dans la famille mérovingienne, ainsi dénommée d'après Mérovée, le grand-père légendaire de Clovis, trois personnalités sortent du lot.

    D'abord la reine Brunehaut : elle domine le monde franc pendant un demi-siècle, jusqu'à son supplice en 613, sur ordre de Clotaire II, roi de Neustrie. Celui-ci réunifie une nouvelle fois le Regnum Francorum et, à sa mort en 629, le laisse à son fils Dagobert 1er.

    Après lui, à partir de 639, la réalité du pouvoir va tomber entre les mains des grandes familles d'Austrasie. La descendance de Pépin de Landen va supplanter celle de Clovis avec successivement Charles Martel, Pépin le Bref et Charlemagne.

    Le royaume des Francs à la mort de Clotaire, en 561
     

    Histoire Ancienne 2:  Clovis et les Mérovingiens - Une civilisation plus lumineuse qu'on ne croit

    Le royaume de Clovis est partagé à sa mort, en 511, entre ses quatre fils, Thierry, Childebert, Clodomir et Clotaire. Il est brièvement réunifié de 558 à 561, sous l'autorité de Clotaire. Au fil des partages successoraux et des guerres, le royaume des Francs ou Regnum Francorum va se subdiviser en plusieurs entités dont les principales sont la Neustrie et l'Austrasie...


     

    Barbare ? Vous avez dit barbare ?...

    Clovis et ses successeurs se voient comme les héritiers de Rome et ne remettent pas en cause la légitimité de l'empereur qui règne en Orient, à Constantinople. 

     

    Trône en bronze dit de Dagobert (musée de Cluny) ; en réalité une chaise curule romaine complétée par un dossier et utilisée comme trône lors des couronnements.

    Ils administrent le coeur de leur domaine, entre Trèves, Paris et Lyon, à la manière romaine, en levant des impôts, en nommant les comtes et en proposant les évêques au choix des fidèles. Dans les régions périphériques, ils se contentent de déléguer l'administration aux seigneurs locaux et se satisfont de leur fidélité.

    Il n'y a pas encore de noblesse instituée mais simplement une distinction juridique entre les hommes libres et les autres car il reste des esclaves de naissance en nombre relativement important. Ce reliquat de l'Antiquité disparaîtra peu à peu à l'époque carolingienne.

    La classe supérieure inclut les chefs de guerre et les rejetons des anciennes familles sénatoriales gallo-romaines. C'est dans cette classe, de préférence parmi les hommes mûrs et de bonne réputation, que les rois choisissent les évêques. Le choix est souvent négocié avec le peuple et une fois élus, ils deviennent irrévocables.

    Les évêques jouent un rôle majeur dans une société déjà passablement christianisée. Ils mettent à profit leur autorité et leurs relations avec le pouvoir royal pour intercéder auprès de celui-ci en faveur de leurs brebis. Aussi sont-ils généralement très populaires et les fidèles ont vite fait de leur attribuer une réputation de sainteté avec miracles à l'appui : guérison, remise d'impôt, libération...

    - une société en armes :

    Au VIe siècle, les représentants de l'oligarchie ont le bon goût de se faire inhumer en costume d'apparat, avec les attributs de leur fonction, selon une coutume d'inspiration germanique, grâce à quoi nous bénéficions aujourd'hui d'informations détaillées sur leurs moeurs et leur mode de vie.

     

    Sarcophage de Chrodoara avec la dédicace : « Chrodoara, noble, grande et illustre, de ses propres biens enrichit les sanctuaires » (vers 730, église Saint-Georges et Sainte-Ode d’Amay, Belgique)

    Aux siècles suivants, notons-le, cette coutume va disparaître au profit d'une inhumation modeste, plus conforme aux canons chrétiens. À défaut, les rejetons des grandes familles auront à coeur de montrer leur rang social par de généreuses donations à l'Église et par des fondations pieuses.

    En attendant, les chefs de guerre et même les marchands et les paysans aisés se font donc inhumer avec leurs armes : épée de cavalier à double tranchant et francisque (hache de jet à simple tranchant) pour les premiers ; épée courte à un tranchant (scramasaxe) pour les autres.

    On peut en déduire que la plupart des hommes possédaient au moins cette épée courte qui faisait office d'arme et d'outil. Il en ira autrement aux siècles suivants quand la noblesse se réservera le droit de porter des armes.

     

    Mobilier d'une tombe masculine, avec scramasaxe, couteau et garniture de ceinture en fer damasquiné (sépulture de Prény-Bois Lasseau, Meurthe-et-Moselle)

    Soulignons l'excellente réputation de la métallurgie franque : ses épées à double tranchant en acier dur et partie centrale en acier mou torsadé sont des chefs-d'oeuvre de haute technologie et des armes redoutables dont les rois mérovingiens tentent mais en vain d'interdire l'exportation !

    D'après l'analyse des squelettes, on a pu établir un taux de 5% de morts violentes (guerres, rixes, chutes de cheval...). C'est évidemment beaucoup plus qu'en France de nos jours (1,2%) mais nettement moins qu'au XIVe siècle, période la plus troublée du Moyen Âge (10%) et moins encore que dans certaines sociétés latino-américaines contemporaines (Salvador : 12%). 

    Les femmes de haute lignée se font inhumer dans leurs plus beaux atours, comme l'atteste ci-dessous le contenu de la tombe de « dame de Grez-Doiceau » (Brabant wallon), avec leurs bijoux et leurs objets favoris parmi lesquels la clé du coffre, attribut essentiel de la maîtresse de maison ! 

     

    Mobilier funéraire de la dame de Grez-Doiceau (nécropole mérovingienne du milieu du VIe siècle), DR

    - la mondialisation façon mérovingienne :

    Le royaume des Francs nourrit des relations intenses avec le monde méditerranéen, l'Orient et même l'Asie comme l'attestent des broderies en soie de Chine retrouvés dans des tombes princières et des bijoux composés de pierres précieuses telles que le grenat de Ceylan (Sri Lanka).

     

    Fibule en forme d'aigle (émaux cloisonnés, vers 550, Bibliothèque de Nuremberg)

    Ces bijoux témoignent d'un goût prononcé des orfèvres mérovingiens pour les motifs animaliers.

    Les échanges se monnaient avec des pièces en or à l'effigie de l'empereur, les fameux solidus byzantins d'où nous viennent nos « sous ». L'orgueilleux Théodebert 1er, fils de Thierry 1er et roi d'Austrasie, est le premier Mérovingien qui fait frapper des sous à son effigie.

    Ces échanges mondialisés vont perdurer jusqu'à la fin du VIe siècle. Dès 590, l'archéologie montre un ralentissement du commerce avec la Méditerranée et l'océan Indien. Les pièces d'or se font plus rares jusqu'à disparaître totalement au siècle suivant, remplacées par de vulgaires piécettes en argent. Il faudra attendre plus de cinq siècles avant que les Florentins ne réintroduisent une monnaie d'or, le florin.

    Cette disparition semble due aux calamités qui frappent le monde méditerranéen à ce moment-là. On peut y voir les conséquences du retour de la pestesous le règne de l'empereur Justinien. L'épidémie a ravagé et largement dépeuplé l'empire byzantin. Un peu plus tard, l'irruption des musulmans a porté le coup de grâce aux empires byzantin et perse et ramené la piraterie en Méditerranée.

    Le royaume des Francs, largement épargné par ces calamités, va réorienter ses échanges commerciaux vers la mer du Nord, la Scandinavie, la mer Baltique et l'Asie centrale... faisant au passage la fortune des futurs Vikings et aiguisant leur appétit.

     

    Page de frontiscipe d'un manuscrit carolingien consacré à saint Martin, avec portique et décor zoomorphe, réalisé à Laon, vers 750 (BNF)

    - une culture vivante :

    Nous avons hérité de très peu de textes de l'époque mérovingienne car l'écriture se pratiquant sur papyrus jusqu'aux alentours de 650, la plupart de ceux-ci n'ont pas résisté à l'usure du temps. Mais quelques textes ont heureusement été recopiés sur parchemin aux siècles suivants par les copistes carolingiens, grâce à quoi nous avons aujourd'hui une vision à peu près claire de la vie intellectuelle à l'époque mérovingienne.

    Nous découvrons en premier lieu une aristocratie plutôt cultivée. Les 250 comtes du siècle de Clovis savent lire et écrire. Pour eux, la lecture et l'écriture ne résultent pas seulement d'une obligation professionnelle mais aussi d'un plaisir de tous les jours. Tel comte par exemple prend la peine d'envoyer chaque jour ou presque des messages anodins à ses amis et ses proches.

    On n'observe plus rien de tel au siècle de Charlemagne, trois cents ans plus tard : rares sont alors les comtes qui savent lire. La lecture et l'écriture sont devenus le privilège de quelques moines et clercs de haute naissance.

    Faut-il s'en étonner ? En tentant de revenir au latin classique et de purifier la langue, l'empereur et son dévoué Alcuin vont en fait briser la continuité linguistique qui menait de Rome au royaume des Francs.

    Les aristocrates mérovingiens employaient sans se formaliser le latin commun, une langue comprise d'à peu près tout le monde et à peu près aussi éloignée du latin classique que le français contemporain de la langue de François Villon.

    Désormais, avec un vocabulaire puisé aux racines antiques, les clercs ne sont plus guère compris de la masse illettrée et les langues populaires vont s'éloigner du latin ecclésiastique et administratif jusqu'à devenir des langues autonomes. Les serments de Strasbourg de 842 en sont la première manifestation.

    - des femmes qui en veulent :

    Les femmes de l'aristocratie mérovingienne sont plus érudites que leurs maris. C'est qu'elles ont en charge l'éducation de leurs enfants et les oeuvres de piété.

     

    Gobelet portant le nom d’une religieuse : Aughilde, abbaye d’Hamage (Nord), VIIIe siècle

    Même de simples moniales issues de la petite aristocratie savent lire et écrire comme l'atteste l'émouvant gobelet ci-joint. Avec quelques autres, il vient de fouilles effectuées à l'emplacement d'un ancien monastère à Hamage (Nord). On peut lire le nom de sa propriétaire, que celle-ci a gravé avec soin, en ajoutant parfois une plaisanterie personnelle. 

    Comme les femmes ont droit à une part d'héritage, à l'égal des hommes, elles peuvent être très riches et, souvent, mettent à profit cette richesse pour fonder des monastères. Elles peuvent aussi accéder au pouvoir comme veuve, ou régente au nom d'un fils en bas âge. On connaît à ce titre Brunehaut et Frédégonde, qui ont régné à la fin du VIe siècle sur l'un ou l'autre des trois royaumes francs ou les trois à la fois. Elles valent bien mieux que ne le laissent entrevoir Grégoire de Tours et Augustin Thierry.

    Là aussi, rien de tel avec l'époque carolingienne. Aux VIIIe et IXe siècles, les femmes ont une vie assez libre, à l'égal des filles de Charlemagne, mais il n'est plus question pour elles de prendre part aux affaires publiques. Et comment le pourraient-elles ? Les règles d'héritage privilégient désormais en effet l'aîné des garçons, du moins dans l'aristocratie.

    Le retournement est total. Ainsi que l'observe plaisamment l'historien Bruno Dumézil, tel copiste carolingien aux prises avec la lettre d'une reine mérovingienne à l'empereur byzantin raye le mot reine et de le remplacer par roi tant cette correspondance lui paraît inconcevable !

    Il n'y a pas que le travail et l'étude dans la vie ! On prend le temps de se distraire et de jouer. Là aussi, l'archéologie nous fait découvrir l'importance des jeux de société dans les bonnes familles mérovingiennes. On a retrouvé en effet des dés et d'autres pièces à jouer du type jacquet dans des tombes de nobles.

    Cette forme de convivialité héritée de l'otium romain attire ces vers délicats au poète Venance Fortunat, mort à Poitiers en 609 : « Tandis que les instants s'écoulent, la réalité de ce monde s'efface et le pion qui disparaît allège le plateau de jeu de la vie »

    Cette tradition, comme bien d'autres, va disparaître avec l'avènement des Carolingiens, quand, sous l'influence de l'Église, le jeu va être assimilé à une perte de temps, au détriment de la prière.

    - une paysannerie active :

    Comme dans la plupart des sociétés pré-industrielles, la paysannerie constitue à l'époque mérovingienne l'immense majorité de la population. Le nombre d'habitants ayant diminué sous l'effet de la première vague d'invasions, la pression démographique est bien moindre qu'auparavant avec tout au plus six à huit millions d'âmes dans tout le royaume des Francs. Les grands domaines gallo-romains, peuplés de nombreux esclaves, ont disparu et laissé place à des exploitations individuelles.

    Les paysans vivent dans des chaumières en clayonnage revêtu de torchis. Leurs conditions de vie se sont plutôt améliorées par rapport à la période gallo-romaine ainsi que l'indique l'analyse des squelettes. Ils ont une taille plus élevée qu'à l'époque romaine et la malnutrition est moins fréquente. Ce n'est pas le cas dans les autres régions de la romanité : l'Angleterre évacuée par les légions et l'Afrique victime de multiples invasions ont vu leur niveau de vie régresser brutalement. Même chose pour les habitants du littoral méditerranéen frappés par la peste.

    Dans les villages mérovingiens, on tisse la laine et surtout le lin. Les trouvailles archéologiques témoignent de la qualité de la poterie locale et de l'abondance des outils en fer. Les paysans bénéficient d'une alimentation diversifiée et de qualité. À la différence des Méditerranéens, astreints à un choix limité, ils cultivent un large choix de céréales.

     

    Clochette en fer et cuivre martelé (site de Poivres, Aube, début du VIIIe siècle, musée de Châlons-en-Champagne)

    Ils élèvent aussi des cochons et des bovins et font une importante consommation de laitages et de poissons. Ils ont soin de sélectionner des boeufs de plus petite taille qu'à l'époque romaine, ces animaux se révélant plus résistants... et moins gourmands.

    Les troupeaux vaquent à la lisière des forêts, celles-ci ayant beaucoup progressé du fait de la dépopulation.

    Pour ne pas perdre leurs animaux, les paysans prennent soin de leur attacher une clochette au cou.

    La loi salique est très sévère à leur propos : « Quiconque aura dérobé la clochette d'un porc sera condamné à payer quinze sous d'or. Celui qui aura dérobé un grelot attaché au cou d'un cheval sera condamné à payer 600 deniers ou 15 sous d'or. »

    Bon appétit !

    La cuisine mérovingienne nous est connue par un médecin grec du nom d'Anthime qui a dédié son De observatione ciborum (« Du bon usage des aliments » à un roi franc, sans doute Thierry 1er. Il rapporte le goût immodéré des Francs pour le lard et la viande grillée. Il donne aussi quelques recettes raffinées comme cette écume (Spumeum) ou quenelle de brochet ci-dessous, confectionnée à base de blanc d'oeuf battu en neige. Il faudra attendre la Renaissance pour que réapparaisse le blanc en neige.

     

    Quenelle au brochet mérovingienne (Festins mérovingiens, A. Dierkens te A. Plovier, Bruxelles, Le Livre, 2008) DR

    Les écrits mérovingiens témoignent d'un grand souci de l'hygiène dans les riches familles. Si les femmes savent garder leur ligne, les hommes doivent quant à eux lutter contre le diabète et l'obésité du fait de leurs excès de table. Rien de nouveau sous le soleil...

     

    Sources bibliographiques

    Livre de l'exposition Austrasie (Musée d'Archéologie nationale, 3 mai - 2 octobre 2017)

    Ce texte doit son existence à l'exposition Austrasie, le royaume mérovingien oublié (musée d'Archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye, 3 mai - 2 octobre 2017). Nous avons emprunté la plupart de nos illustrations au livre associé à l'exposition, un document didactique et bien illustré (25 euros).

    Nous remercions tout particulièrement le commissaire de l'exposition, l'historien Bruno Dumézil, pour ses explications d'une très grande clarté sur cette période réputée obscure.

     

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    La moitié des vertébrés menacés

    d'extinction vivent sur des îles

     

    La quasi-extinction du Moqueur de Floreana a résulté... (PHOTO WIKICOMMONS)

     

    La quasi-extinction du Moqueur de Floreana a résulté de l'introduction d'espèces invasives sur les Îles Galápagos.

    PHOTO WIKICOMMONS

     
     
    Agence France-Presse
    Washington
     

    Près de la moitié des vertébrés menacés d'extinction dans le monde vivent sur des îles, où il est plus facile de contrôler les espèces invasives à l'origine de leur éventuelle disparition, selon une étude publiée mercredi dans la revue Science Advances.

    Les chercheurs à l'origine de cette étude ont identifié et localisé la totalité des 1189 espèces terrestres d'amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères figurant sur la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) se reproduisant sur 1288 îles.

    Ils ont pu déterminer si des espèces nuisibles à ces vertébrés avaient été introduites sur ces îles comme des rats et des chats.

    «Cette nouvelle banque de données sur la biodiversité insulaire permettra de mieux cibler et de nettement améliorer les efforts de conservation dont a besoin notre planète», se réjouit Dena Spatz, une biologiste de l'ONG Island Conservation, principale auteure de ces travaux.

     

    Un grand nombre des espèces les plus menacées de la planète vivent ainsi sur des îles, comme le Moqueur de Floreana, un oiseau des Îles Galápagos disparu de l'île dont il porte le nom au 19e siècle, quelques décennies seulement après l'arrivée des humains.

    Sa quasi-extinction a résulté de l'introduction d'espèces invasives sur l'île, dont des rongeurs et des chats sauvages. Les quelques centaines de Moqueurs de Floreana qui restent sont désormais confinés sur des îlots proches où il n'y pas de prédateurs.

    Les îles ne représentent que 5,3% des terres émergées mais ont abrité 61% de toutes les espèces éteintes connues depuis 1500.

    Les chats sauvages et les rongeurs ont été au cours des derniers siècles responsables d'au moins 44% des extinctions d'oiseaux, petits mammifères et reptiles.

    Dans certaines îles il est possible d'empêcher l'arrivée de ces nuisibles et dans la grande majorité d'éliminer les intrus invasifs. Cela a permis la résurgence de nombreuses espèces autochtones en voie d'extinction, selon l'étude.

    À titre d'exemple, la petite île d'Anacapa, au large de la Californie, où l'élimination réussie des rats a contribué à la reconstitution des populations de Guillemot de Scripps (Synthliboramphus scrippsi) et de la récente découverte d'Océanites tempête, une autre espèce d'oiseau menacé.

    Alors que les vertébrés menacés représentent près de la moitié de toutes les espèces terrestres les plus en danger d'extinction, ils ne sont présents que sur une fraction des terres du globe et moins d'1% des îles, selon l'étude.

     

    Articles/Photos sur les animaux - 3:  La moitié des vertébrés menacés d'extinction vivent sur des îles

     

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    Des empreintes d'un nouveau dinosaure

    géant en Afrique

     

    Cette nouvelle espèce appartient au groupe de dinosaures «méga-théropodes»,... (ARCHIVES REUTERS)

     

    Cette nouvelle espèce appartient au groupe de dinosaures «méga-théropodes», des bipèdes géants comme le Tyrannosaurus rex.

     

     
    Agence France-Presse
    Washington
     

    Une équipe internationale de paléontologues a découvert les empreintes fossilisées de pattes à trois orteils d'une nouvelle espèce de dinosaure carnassier géant dans le sud de l'Afrique, où il vivait il y a deux cent millions d'années.

    Il s'agit des plus grandes traces de pied de théropodes trouvées à ce jour sur le continent africain.

    Vu leurs dimensions - 57 centimètres de longueur sur 50 cm de largeur - l'animal devait mesurer environ neuf mètres de long et près de trois mètres de haut au niveau des hanches, selon les scientifiques dont la découverte est publiée mercredi dans la revue américaine PLOS ONE.

    Ce dinosaure avait quatre fois la taille d'un lion, estiment ces chercheurs des universités de Manchester (Royaume-Uni), du Cap en Afrique du Sud et de Sao Paulo au Brésil.

     

    Cette nouvelle espèce, baptisée Kayentapus ambrokholohali, appartient au groupe de dinosaures «méga-théropodes», des bipèdes géants comme le Tyrannosaurus rex (T. rex), qui évoluait plus tard sur le continent américain et mesurait douze mètres de long environ.

    Ces empreintes ont été trouvées sur une couche géologique ancienne au Lesotho datant de 200 millions d'années. Cette zone est recouverte de craquements ayant résulté du dessèchement du sol, signes de la présence antérieure d'une rivière préhistorique.

    C'est la première preuve que des théropodes carnivores de très grande taille se trouvaient dans cet écosystème surtout dominé par une variété de dinosaures herbivores, omnivores et carnivores beaucoup plus petits, expliquent ces scientifiques.

    Cette découverte est également importante car elle indique que ces dinosaures géants étaient déjà présents au début du Jurassique. Jusqu'alors les paléontologues pensaient qu'à cette période ces dinosaures étaient beaucoup plus petits, soit de trois à cinq mètres de long en moyenne.

    C'est seulement beaucoup plus tard, au crétacé, qui a commencé il y a 145 millions d'années, que des théropodes géants comme le T. rex commencent à apparaître selon les fossiles et les empreintes de pied.

    «Cette découverte marque la première présence de très grands dinosaures carnivores au début du Jurassique dans le sud de Gondwana, le continent préhistorique qui s'est plus tard brisé pour former l'Afrique et les autres masses continentales», pointe Lara Sciscio, chercheuse à l'université du Cap.

    «Ces empreintes de pied de grande taille sont très rares dans le monde. Il n'existe qu'un seul autre site connu datant également de 200 millions d'années où des traces similaires ont été découvertes. Il se situe en Pologne», précise-t-elle.

     

    Les Dinosaures 2:  Des empreintes d'un nouveau dinosaure géant en Afrique

     

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    Martin Luther (1483 - 1546)

     

    L'initiateur de la Réforme

     

     

    Le 31 octobre 1517, sur la porte de l'église du château de Wittenberg, en Saxe, un moine allemand affiche 95 thèses où il dénonce les scandales de l'Église de son temps. Sans s'en douter, Martin Luther, ce faisant, va briser l'unité de l'Église catholique et jeter les bases du protestantisme.

    André Larané
     

    Luther vêtu en augustin, Lucas Cranach l’Ancien, 1523.

     
    L'Europe religieuse

     

    Mythologie et Religion 2:  Martin Luther (1483 - 1546) - L'initiateur de la Réforme

     

    Aux alentours de 1500, la chrétienté occidentale est en pleine ébullition. Les conditions de vie s'améliorent, surtout dans les villes où les échanges commerciaux et l'artisanat favorisent l'émergence d'une bourgeoisie riche et relativement instruite.

    L'invention de l'imprimerie met la lecture à la portée du plus grand nombre et l'on prend goût à lire dans le texte et commenter les écrits évangéliques sur lesquels se fonde l'enseignement de la religion chrétienne. Aussi le geste de Luther a-t-il immédiatement un profond retentissement en Allemagne...

    L'enchaînement des passions va entraîner une scission religieuse sans précédent en Europe et la constitution d'Églises rivales de Rome, les Églises dites protestantes ou réformées.

     

    Un moine inquiet

    Martin Luther est né à Eisleben, en Thuringe, le 10 novembre 1483. Fils d'un mineur qui s'est enrichi à force de travail, il étudie à l'Université d'Erfurt pour satisfaire son père qui veut l'engager dans la magistrature.

    Mais selon son témoignage, il est, un jour d'été, le 2 juillet 1505, surpris par un orage violent qui foudroie un arbre à côté de lui. Pris de frayeur, il s'écrie : « Sainte Anne, secourez-moi. Je me ferai moine ! » Sitôt dit, sitôt fait, il entre au couvent des Augustins au désespoir de son père.

    Sans doute cette décision fut-elle le fruit d'une longue maturation inspirée par la piété profonde de sa mère...

    Devenu prêtre, Luther commence à enseigner la théologie à Wittenberg, en Saxe. Mais il ne tarde pas à s'interroger sur la grâce divine et les moyens d'accéder à la vie éternelle.

     

    Martin Luther (10 novembre 1483, Eisleben, Thuringe ; 18 février 1546) par Hans Baldung

    À l'hiver 1513, étudiant l'épître aux Romains de saint Paul, il est frappé par l'expression : « Le juste vivra par la foi ».

    Par cette révélation (« l'événement de la tour » du couvent de Wittenberg), le théologien arrive à la certitude que l'homme ne peut être sauvé que par sa foi et non par ses oeuvres.

    Il se convainc que la justice selon l'Évangile n'est pas soumission à une loi mais don de Dieu. Animé par un génie certain et une grande intégrité morale, Luther remet dès lors en question la théologie officielle.

    Il puise son inspiration dans l'enseignement de Jan Hus, un réformateur tchèque brûlé à Prague un siècle plus tôt (en 1415), qui lui-même avait été attentif aux sermons d'un contemporain anglais, John Wycliff.

    Ses réflexions sur la théologie conduisent Luther à s'interroger sur le comportement de la hiérarchie catholique. Celle-ci lui apparaît divisée et profondément corrompue, devenue dédaigneuse au plus haut point du message de l'Évangile.

    Pas plus que ses prédécesseurs Hus et Wycliff, Luther n'entend se séparer de l'Église catholique. Il voudrait seulement la ramener dans le droit chemin.

    Il faut dire que ses griefs à l'égard du Saint-Siège ne manquent pas de fondement. Le 11 mars 1513, au pape Jules II a succédé le second fils de Laurent le Magnifique, Giovanni de Médicis (38 ans), sous le nom de Léon X. Cet épicurien cultivé, principal pape de la Renaissance, se soucie autrement plus de faire la fête et d'enrichir sa famille que de réformer l'Église. Il protège le peintre Raphaël, qui va décorer ses appartements du Vatican, les célèbres « Stanze ».

     

    La Réforme de Luther

    Le 31 octobre 1517, la vie de Luther et la chrétienté occidentale basculent. Ce jour-là, le moine publie 95 thèses qui sont autant de dénonciations des abus du clergé romain. Une chronique tardive nous dit qu'il a lui-même placardé son texte sur la porte de l'église de Wittenberg. Il l'a sans doute plus sûrement diffusé auprès de ses confrères universitaires et des autorités ecclésiastiques... 

    Le premier des scandales que dénonce Luther est l'abus qui est fait des indulgences. Il s'agit des aumônes que le clergé catholique a pris l'habitude de récolter contre la promesse d'un allègement des peines qui attendent les pécheurs au Purgatoire, antichambre du Paradis. Ces collectes ont été relancées par le pape Léon X dans le but de reconstruire Saint-Pierre de Rome dans le goût fastueux de la Renaissance italienne.

    Comme par ailleurs les rois de France et d'Espagne, François 1er et le futur Charles Quint se sont portés candidats au titre impérial, les indulgences sont aussi mises à profit pour rembourser les dépenses considérables qui servent à acheter les votes des sept princes électeurs d'Allemagne.

    Les 95 thèses affichées à Wittenberg ont un profond retentissement en Allemagne et échauffent les esprits. « Autrefois, les trésors de l'Évangile étaient le filet qui servait à saisir les hommes dévoyés par la richesse ; aujourd'hui, les trésors des indulgences servent seulement à saisir les richesses des hommes », écrit le moine... Mais le Saint-Siège et les princes allemands tardent à les condamner, ne voulant pas se mettre à dos la population avant l'élection impériale qui doit se tenir en 1519.

    De son côté, Martin Luther fait preuve dans un premier temps d'une sincère volonté de conciliation. Tout en se plaçant sous la protection de Frédéric III de Saxe, il dialogue avec les théologiens romains mais doit bientôt se rendre à l'évidence : les thèses des deux bords sont inconciliables.

    Au début de l'année 1520, Luther entre résolument en dissidence contre Rome qu'il présente comme la « rouge prostituée de Babylone ». Il dénie à l'Église le pouvoir d'effacer les peines dans l'au-delà et formule une doctrine de la grâce divine en rupture avec la pratique catholique. Il conteste les sacrements, à l'exception du baptême, de l'eucharistie (la communion) et de la pénitence.

    Entre autres choses, Martin Luther réclame pour l'ensemble des fidèles et pas seulement pour les prêtres le droit de communier sous les deux espèces, le pain et le vin. Sa formule fait mouche : « Nous sommes tous prêtres ».

    Considérant que les chrétiens n'ont pas besoin d'intermédiation pour aimer Dieu, il condamne la fonction cléricale et la vie monastique. Des pasteurs mariés peuvent suffire pour guider le peuple dans la lecture des Saintes Écritures. 

    Chaque fidèle est encouragé à découvrir par lui-même les Écritures saintes. Il va en résulter dans les pays luthériens une forte incitation à l'apprentissage de la lecture et l'alphabétisation.

     

    Victoire de Luther

    Travaillant avec frénésie, Luther publie rien que dans l'année 1520 cinq ouvrages majeurs qui dessinent les contours de sa doctrine.

    Luther brûle la bulle du pape, par L. Rabus (1557)

    Par son « Appel à la noblesse chrétienne de la Nation allemande », en avril, le prédicateur consolide son emprise sur l'Allemagne. Il se rallie la noblesse, laquelle se laisse convaincre par la perspective de s'approprier les terres et les biens de l'Église et des institutions catholiques.

    Viennent ensuite Des bonnes oeuvres(mai), De la papauté de Rome (juin), De la liberté du chrétien (octobre) et Prélude sur la captivité babylonienne de l’Église(octobre).

    Lorsque le 15 juin 1520, le pape Léon X le condamne par la bulle (*Exsurge Domineet fait brûler ses 95 thèses, Luther est en mesure de résister. Il défie même le pape en brûlant la bulle à Wittenberg.

    En retour, il est excommunié le 3 janvier 1521 et le légat pontifical demande sa convocation à Rome, mais le jeune empereur Charles Quint, qui craint un soulèvement populaire, obtient qu'il soit d'abord entendu par la Diète, c'est-à-dire l'assemblée représentative de l'empire allemand.

     

    Albert le Magnanime entre MartinLuther et Philippe Melanchton, par Lucas Cranach l'Ancien

    Le 17 avril 1521, Martin Luther comparaît devant la Diète réunie à Worms, sur le Rhin, en présence de l'empereur. Il expose sa doctrine et refuse courageusement de se rétracter. Le moine s'attend à être arrêté et brûlé comme Jean Hus, un siècle plus tôt... Mais grâce à son protecteur, l'Électeur de Saxe, justement nommé Frédéric le Sage, il est toutefois autorisé à quitter Worms.

    L'empereur ne veut pas en rester là et obtient le 26 mai 1521 sa mise au ban de l'Empire.

    Pour éviter à Luther d'être arrêté, l'Électeur le fait enlever sur la route de Wittenberg et l'amène dans sa forteresse de la Wartburg, en Saxe, près d'Eisenach, où il va se cacher pendant un an sous le nom de « chevalier Georges », abandonnant ses habits monastiques et se laissant pousser la barbe.

    Il profite de cette retraite forcée pour réaliser son chef-d'oeuvre littéraire, la traduction du Nouveau Testament. Cette tâche l'amène à fixer les traits de la langue allemande, jusque-là langue orale éclatée en différents patois régionaux.

     

    Une nouvelle confession chrétienne

    Katherine von Bora, épouse de Luther (29 janvier 1499 Lippendorf ; 20 décembre 1552, Torgau)

    Pendant ce temps, les idées luthériennes se répandent comme une traînée de poudre dans le peuple et l'élite de l'Allemagne.

    Les prêtres se marient, les moines et les religieuses abandonnent leur couvent. On voit émerger des sectes comme les anabaptistes.

    N'y tenant plus, Luther quitte le 1er mars 1522 son repaire de la Wartburg et se rend à Wittenberg en vue de prendre les choses en main et d'organiser le cadre d'un christianisme rénové.

    Il abolit les jeûnes, les confessions, les messes privées...

    Lui-même renonce à l'habit monastique et, en 1525, épouse une ancienne religieuse cistercienne, Catherine von Bora, dont il aura six enfants.

     

    La Guerre des paysans

    Les positions se radicalisent... Les lettrés humanistes comme Érasme rompent avec Luther par fidélité à l'Église catholique. De son côté, le prédicateur n'hésite pas à prendre parti pour les privilégiés dans la «  Guerre des paysans  » (Bauernkrieg) qui éclate en Allemagne du sud.

    Inspirés par le théologien Thomas Münzer, adepte de théories millénaristes annonciatrices de la fin du monde, les paysans réclament l'abolition du servage, l'allègement des taxes et une réforme non seulement religieuse mais aussi sociale.  

    Guidés parfois par d'anciens prêtres ou des chevaliers, ils saccagent églises, châteaux et couvents.

    Luther appelle les nobles à les écraser de la façon la plus brutale qui soit : « Chers seigneurs, poignardez, pourfendez et égorgez à qui mieux mieux. Si vous y trouvez la mort, tant mieux pour vous ; jamais vous ne pourrez trouver une mort plus bienheureuse, car vous mourrez dans l'obéissance au commandement de la parole et de Dieu », écrit-il dans son pamphlet Wider die raüberischen und mörderischen Rotten der Bauern (Contre les hordes homicides et pillardes des paysans).

    La guerre prend fin avec la défaite de Thomas Münzer et des paysans de Thuringe à Frankenhausen, le 15 mai 1525. Elle aura causé environ cent mille morts.

     

    La Réforme profite à la noblesse

    Très vite, la noblesse pauvre de haute Allemagne est attirée par la prédication de Luther. Elle voit dans sa Réforme la possibilité de s'enrichir à bon compte en s'emparant des biens d'Église.

    Le premier à saisir l'avantage de la Réforme est le grand maître de l'ordre Teutonique, Albert de Brandebourg. Sur une suggestion de Luther lui-même, il sécularise en 1525 l'État de Prusse administré par son ordre et le transforme en un duché héréditaire dont il est le premier titulaire. Son exemple est suivi par de nombreux évêques d'Allemagne du nord.

     

    Portrait de Martin Luther, d'après Lucas Cranach L'Ancien

    Tandis que l'Europe centrale se déchire entre catholiques et protestants et que se disputent même les disciples de Luther, l'homme qui est cause de tout cela finit sa vie en bon bourgeois obèse, amoureux de la table. Ses dîners réunissent des dizaines de convives et leurs témoignages et confidences vont donner lieu à un recueil joliment intitulé Tischeden (Propos de table), riche d'informations sur la pensée et la personnalité de Luther.

    Il meurt le 18 février 1546 à Eisleben et sera inhumé dans son église de Wittenberg.

    La hiérarchie catholique elle-même va subir par ricochet l'influence de Luther. Au concile de Trente, elle  lance une vigoureuse rénovation intérieure, connue sous le nom de Contre-Réforme. L'Église tridentine qui en est issue est par maints aspects aussi éloignée de l'Église médiévale que les confessions protestantes. 

     

    La Fête de la Réformation

    Le 31 octobre, anniversaire des 95 thèses de Luther, est commémoré par l'ensemble des protestants sous le nom de Fête de la Réformation.

    Les luthériens proprement dits sont rassemblés dans la « Confession de foi d'Augsbourg ». Ils représentent 65 millions de fidèles, principalement en Allemagne, en Scandinavie et dans les régions américaines d'immigration allemande.

    Sur environ 2,2 milliards de chrétiens (croyants ou non), les confessions protestantes issues de la Réforme rassemblent en ce début du XXIe siècle environ 800 millions de fidèles dont 600 millions d'évangélistes ou de pentecôtistes, essentiellement en Amérique et en Afrique.

     

    Mythologie et Religion 2:  Martin Luther (1483 - 1546) - L'initiateur de la Réforme

     

     

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