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Par Frawsy le 5 Novembre 2016 à 12:45
5 novembre 1757
Frédéric II vainc Soubise à Rossbach
Le 5 novembre 1757, Frédéric II de Hohenzollern vainc les Français et les Autrichiens à Rossbach, en Saxe. La manière dont le roi de Prusse retourne en sa faveur une situation désespérée lui vaudra d'être appelé Frédéric le Grand.
Jean-Jacques WerlingL'Europe sur le pied de guerre
L'année précédente a débuté la guerre de Sept Ans. D'aucuns la considèrent comme la première guerre mondiale car elle s'est déroulée sur tous les continents.
Frédéric II a conclu avec le roi d'Angleterre George II, également Prince-Électeur du Hanovre, un traité de « neutralité ». Du coup, l'impératrice Marie-Thérèse et le roi de France Louis XV ont enterré officiellement une rivalité de 250 ans et négocié un « renversement des alliances ». Ils se sont alliés à la tsarine Élisabeth, fille de Pierre le Grand, ainsi qu'à la Suède, la Saxe et l'Espagne.
Débuts difficiles pour la Prusse
Dans un premier temps, l'armée anglaise du duc de Cumberland est défaite par le duc de Richelieu, petit-neveu du cardinal.
Le roi de Prusse ne peut plus compter que sur lui-même. Il remporte deux premières batailles sur les Impériaux, les troupes de Marie-Thérèse, à Lobositz et Prague. Mais le sort des armes se retourne et il perd successivement les batailles de Kolin, contre les Autrichiens (18 juin 1757) et Gross Jägersdorf, contre les Russes (30 août 1757).
Là-dessus, il apprend qu'une armée austro-française est entrée en Saxe. Elle compte 42 000 hommes sous le commandement du maréchal Charles de Soubise et du feld-maréchal Joseph Friedrich von Sachsen-Hildburghausen. Lui-même n'a que 22 000 hommes à leur opposer.
Le retournement : Rossbach
Le roi, risquant le tout pour le tout, se met à la tête de son armée et va au-devant de l'adversaire. Le 4 novembre, il campe à Rossbach, à 35 kilomètres au sud-ouest de Leipzig.
Le lendemain, les alliés franco-autrichiens entreprennent de contourner le camp prussien. En dépit de sa supériorité numérique, le maréchal de Soubise n'est pas pressé d'en découdre, au contraire de son homologue autrichien. Il maintient son armée en formation de marche sans rien voir de la position prussienne dont il est séparé par une colline.
Le roi comprend rapidement l'avantage qu'il peut tirer de cette situation. Comme il a pris la précaution de se déplacer avec un minimum de bagages, il remanie complètement son dispositif en un rien de temps.
Sous le commandement d'un cavalier émérite, le général von Seydlitz, la cavalerie prussienne barre la route à la colonne ennemie. L'infanterie se déploie derrière elle en ordre d'attaque oblique.
La bataille s'engage vers 4 heures de l'après-midi. Soubise n'a plus la possibilité de se déployer. De plus, un corps de cavalerie prussienne tombe sur son flanc droit. Les combats proprement dits durent très peu de temps. Les troupes franco-autrichiennes, surprises, se battent dans le plus grand désordre et ne pensent bientôt plus qu'à prendre la fuite.
Soubise perd 10 000 hommes, blessés, morts ou prisonniers, et toute son artillerie, contre moins de 500 pour Frédéric II. Le maréchal résumera plus tard sa défaite en ces termes : « L'infanterie combattit sans empressement et céda à son inclination pour la retraite ».
La honte de la défaite atteint la favorite de Louis XV, la marquise de Pompadour, à qui Soubise a dû son élévation à la tête de l'armée française, mais celle-ci en mesure mal l'ampleur...
Voyant le roi déconfit à l'annonce de la défaite, la marquise, qui est en train de se faire portraiturer par La Tour, le réconforte en ces termes : « Il ne faut point s'affliger : vous tomberiez malade. Après nous, le déluge ! ».
La postérité d'un vaincuLe maréchal Charles de Soubise, prince de Rohan et duc de Vintadour, devient l'objet de mille moqueries à Paris après sa piteuse défaite de Rossbach.
On compose une chanson à sa gloire :
« Soubise dit, la lanterne à la main,
J'ai beau chercher, où diable est mon armée ?
Elle était là pourtant, hier matin.
Me l'a-t-on prise, ou l'aurais-je égarée ?
Ah! je perds tout, je suis un étourdi.
Que vois-je ciel ! Que mon âme est ravi !
Prodige heureux, la voilà ! La voilà !
Eh ventrebleu ! Qu'est-ce donc que cela ?
Je me trompais, c'est l'armée ennemie. »Cela n'empêchera pas le maréchal de poursuivre une existence de courtisan et de galant homme jusqu'à sa mort, en 1787, à 72 ans, à la veille de la Révolution. Il restera dans la postérité avec une sauce culinaire à son nom !...
Frédéric II ne s'arrête pas là
Soulagé, le roi de Prusse ne perd pas de temps et se tourne vers la Silésie que les Autrichiens étaient sur le point de reprendre. Breslau (aujourd'hui Wrozlaw) est déjà tombée entre leurs mains.
Avec les troupes dispersées en Silésie et son armée de Rossbach, le roi reconstitue une force de 35.000 hommes et va au-devant des Autrichiens, au total 65.000 hommes sous le commandement de Charles de Lorraine, beau-frère de Marie-Thérèse. Ce dernier ne doute pas d'en finir rapidement avec « ce corps de garde berlinois qui ose affronter une puissante armée » !
Le 5 décembre 1757, à Leuthen, l'avant-garde de Frédéric attaque de front les positions ennemies tandis que le gros de son armée déborde l'ennemi par son flanc gauche, selon sa tactique de l'attaque oblique. La surprise des Autrichiens est totale et leur retraite se transforme vite en débâcle, livrant la Silésie au roi de Prusse.
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Par Frawsy le 30 Octobre 2016 à 11:13
30 octobre 1439
Le duc Amédée VIII devient pape
Le 30 octobre 1439, une poignée de pères conciliaires réunis à Constance proclament la déchéance du pape Eugène IV. Ils élisent à sa place le duc Amédée VIII de Savoie, 56 ans.
Le nouveau pape est intronisé l'année suivante sous le nom de Félix V. Mais son élection par une fraction seulement des cardinaux et son effacement ultérieur devant un rival font que l'Église catholique le considère comme le dernier des « antipapes » (ou papes concurrents du pape officiel) qui ont émaillé son Histoire, notamment lors du Grand Schisme (1378-1415).
Gabriel Vital-DurandUn duc favorisé par le destin
Selon Charles-Eugène, Maréchal-prince de Ligne, l'existence idéale consisterait à vivre « comme un page à dix ans, une jolie femme à vingt, un colonel de chevau-légers à trente, un gouverneur à quarante, un ambassadeur à cinquante, un homme de lettres à soixante, un duc à septante et... un cardinal à quatre-vingts ans » (Mémoires, vers 1790) ! Eh bien, c'est là le destin d'Amédée, huitième du nom, dit le Paisible, premier duc de Savoie.
Le futur pape naît à Chambéry le 4 septembre 1383. Son grand-père Amédée VI, le Comte Vert, puis son fils Amédée VII, le Comte Rouge, ont bien bataillé pour étendre la Savoie vers Berne, Lyon, Nice et Milan.
Leur comté, qui s'est constitué autour de Chambéry, fait partie du Saint Empire. Par les guerres et les mariages, il se présente comme l'une des plus puissantes principautés d'Europe occidentale.
Mais le jeune prince perd son père à l'âge de huit ans, en 1391, des suites d'un accident de chasse. De mauvaises langues évoquent un empoisonnement dont se serait rendue coupable la propre mère du défunt, Bonne de Bourbon, cousine du roi de France Charles V.
Le duc de Bourgogne Philippe le Hardi profite de la discorde entre la mère et la veuve pour précipiter le mariage de sa propre fille, Marie de Bourgogne, avec le jeune Amédée.
Les noces sont célébrées avec faste le 29 octobre 1393 à Chalons-sur-Saône. Les jeunes époux ont... dix et sept ans ! Sitôt après leurs noces, ils vont être séparés pour dix ans.
Un souverain éclairé
Amédée tombe sous la coupe de son beau-père, le duc de Bourgogne, qui garde l'oeil sur ses affaires pendant qu'il reçoit une éducation plutôt soignée.
Ensuite les jouvenceaux vont filer un amour de vingt ans qui donnera le jour à sept enfants. Marie meurt en couches en 1422. Quant à Amédée, il se révèle rapidement de taille à gérer son comté de Savoie. Il compense l'absence de dispositions militaires par des talents diplomatiques hors du commun.
Au septentrion, il consolide ses relations avec Berne. À l'ouest, il repousse la frontière jusqu'à la Saône et réussit par des manoeuvres habiles à prendre la succession des comtes de Genève et à s'installer au couvent des Dominicains de Plainpalais, tandis que son vidame réside en la Tour de l'Isle, une bastille plus imposante.
Il reste en bonne intelligence avec les évêques de Genève, notamment Jean de Brogny, et reçoit le pape Martin V en grande pompe à la cathédrale Saint-Pierre. Au Midi, il vient à bout des princes rebelles, les Grimaldi, les marquis de Saluces et de Montferrat. À l'Orient, il conquiert le val d'Ossola au Sud des Alpes et renforce ses positions en Valais. Il finit par reprendre le Piémont, qui s'était détaché de la Savoie un siècle plus tôt.
Amédée accueille le pape Benoît XIII à Nice en 1404 et invite l'empereur allemand Sigismond à Chambéry en 1416. Ce dernier s'acquitte de sa dette en élevant la Savoie au rang de duché. Amédée se pique de droit et de lettres. Il rédige les « Statuta Sabaudiæ » qui serviront de code civil au duché et fonde l'université de Turin.
Bonne chère à RipailleLe duc Amédée VIII de Savoie, qui ne craint pas le voisinage des clercs, fonde le prieuré de Ripaille en 1410, près du lac Léman, et y installe des chanoines réguliers de Saint Augustin qui relèvent de l'abbaye de Saint Maurice d'Agaune. Il fonde aussi l'ordre des chevaliers de Saint Maurice, qui prendra plus tard le nom des Saints Maurice et Lazare.
Le site de Ripaille est agrandi et modernisé. C'est un ensemble monumental qui comprend, outre le prieuré, un palais agrémenté de sept tours, un parc splendide et un port bien défendu avec des galères. Selon le chroniqueur, « si la demeure d'Amédée n'était pas indigne d'un roi ou d'un pape, celles de ses compagnons auraient pu être offertes à des cardinaux ».
Certains esprits forts ne manquent pas de suggérer qu'à défaut de la compagnie des femmes, l'on y fait bonne chère et mène grand train. Un adage du temps affirme d'ailleurs : « facere ripaliam, hoc est indulgere ventri » (faire ripaille, c'est soigner son ventre). De là nous vient l'expression populaire : « faire ripaille », synonyme de faire bombance.
La tiare pontificale, consécration suprême
Le 7 novembre 1434, le duc de 51 ans, au faîte de sa gloire et de ses succès, convoque sa cour et sa parentèle à Ripaille pour leur annoncer qu'il se retire dans son prieuré. Il laisse le pouvoir à son fils Louis, comte de Genève, sans abdiquer toutefois.
Son autorité morale ne fait que s'accroître et lorsque le pape Eugène IV vient à déplaire au Sacré Collège, les cardinaux, qui souhaitent se réunir en conclave à Bâle, s'arrêtent pour se refaire une santé... à Ripaille.
Ne vont-ils pas soudain s'aviser que leur hôte - en odeur de sainteté - pourrait bien être de taille à réconcilier la chrétienté déchirée par le Grand schisme d'Occident ?
Et voici notre grand homme élu pape. Il n'accepte la charge qu'après beaucoup d'hésitations, le 15 février 1440, et prend le nom de Félix V. Il est intronisé le 23 juillet 1440 dans la cathédrale de Lausanne.
Il prend Enée Piccolimini comme secrétaire, lequel deviendra Pie II. Las, Eugène IV s'accroche à la tiare. Le nouveau duc Louis Ier poursuit des chimères en Orient d'où son épouse, la séduisante Anne de Chypre, rapportera le Saint Suaire à Chambéry. Selon un chroniqueur, « elle est une femme incapable d'obéir unie à un homme incapable de commander ».
Coup de théâtre en avril 1449. Félix V, désabusé par les intrigues du Saint Collège et désormais tourné vers son salut éternel, abdique son pontificat en la cathédrale de Lausanne.
Avec le renoncement volontaire du dernier des « antipapes », c'en est bien fini du Grand Schisme d'Occident qui a déchiré et affaibli l'Église catholique pendant près d'un siècle.
Le pape Nicolas V, décidément bon prince, nomme son rival... évêque de Genève, légat pontifical et cardinal du Sacré Collège. Amédée meurt en 1451, respecté de tous bien qu'antipape !
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Par Frawsy le 29 Octobre 2016 à 13:27
29 octobre 1787
Don Giovanni triomphe à Prague
La première représentation de l'opéra Don Giovanni a lieu le 29 octobre 1787 à Prague, dans le magnifique théâtre des États, sous la direction de son compositeur, Mozart en personne, alors âgé de 33 ans.
Camille VignollePrague plus ouverte que Vienne
La capitale de la Bohême, dont le roi n'est autre que l'archiduc d'Autriche, est une ville au passé culturel prestigieux, qui rivalise volontiers avec Vienne, le siège des États autrichiens.
L'opéra de Wolfgang Amadeus Mozart, sur un livret en deux actes écrit par Lorenzo da Ponte, d'après la pièce de Molière, recueille un éclatant succès auprès du public éclairé de la ville.
Dans le public se tient un certain Casanova, déjà âgé de 62 ans... Dans ses Mémoires, qu'il commencera à écrire trois ans plus tard, sans doute s'inspirera-t-il du livret de Don Giovanni pour dessiner le portrait d'un libertin fort de 122 conquêtes en 39 ans (un seul échec avoué).
Mais pour Mozart, le succès praguois de Don Giovanni a un goût amer. Cinq mois plus tôt est mort son cher père Léopold, avec lequel il s'était néanmoins disputé. À Vienne, un peu plus tard, l'oeuvre et son auteur sont sifflés. La ville impériale attendra la mort du compositeur pour lui rendre enfin l'hommage qu'il mérite.
Don Juan, un mythe occidental
Don Juan est l'un des principaux mythes de la culture occidentale, avec Faust, Don Quichotte et Robinson Crusoé. Cynique et libertin, en révolte contre l'humanité et contre Dieu, le personnage apparaît vers 1625 dans une comédie de l'Espagnol Tirso de Molina, El burlador de Sevilla (L'abuseur de Séville).
L'auteur s'inspire d'un fait divers raconté par la Chronique de Séville. Meurtrier du gouverneur Ulloa, dont il a séduit la fille, Don Juan tombe plus tard dans un traquenard dans le couvent franciscain où repose la dépouille du gouverneur. Les moines racontent alors que le meurtrier a été entraîné aux enfers par la statue de pierre de sa victime, qui se serait soudain animée...
Molière en tire l'un de ses chefs-d'oeuvre (sans doute avec la complicité de son ami, le dramaturge Pierre Corneille) : Dom Juan ou le festin de pierre. Goldoni, Byron, Pouchkine, Tolstoï, Baudelaire, Colette... s'y frottent à leur tour. Outre Mozart, plusieurs compositeurs ont aussi écrit des opéras sur le sujet. N'oublions pas le cinéma avec L'Oeil du diable de Bergman, et Don Giovanni de Losey.
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Par Frawsy le 28 Octobre 2016 à 01:34
28 octobre 1886
La Liberté éclairant le monde
Le 28 octobre 1886, « La Liberté éclairant le monde » est inaugurée dans la liesse, à l'entrée du port de New York, par le président des États-Unis Stephen Grover Cleveland.
C'est la plus colossale statue jamais construite (46 mètres de haut et 93 avec le piédestal). Elle est l'oeuvre du sculpteur Frédéric Auguste Bartholdi.
Ce cadeau de la France aux États-Unis célèbre l'amitié franco-américaine sur une idée du juriste Édouard Laboulaye. Il a été financé par une souscription publique des deux côtés de l'Atlantique et grâce à une active campagne de presse du journaliste américain Joseph Pulitzer.
André LaranéAuguste Bartholdi, républicain et patriote
Né le 2 août 1834 à Colmar, en Alsace, dans une famille de notables protestants, Auguste Bartholdi peut donner libre cours à ses penchants artistiques grâce à la bienveillance de sa mère Charlotte qui ne cessera jamais de l'épauler.
Il a à peine 20 ans quand il inaugure sa carrière de sculpteur avec la statue du comte Jean Rapp, un général de Napoléon 1er originaire comme lui de Colmar.
Déjà s'affirme son goût pour le gigantisme avec cette statue à laquelle, de sa propre initiative, il donne une taille deux fois supérieure à la taille humaine.
En dépit de la bienveillance du Second Empire à son égard, Bartholdi ne cache pas ses convictions républicaines, ce qui lui vaut de nouer une relation amicale avec le professeur de droit Édouard Laboulaye (1811-1883), dont il réalise le buste en 1866.
À ce moment-là vient de se terminer aux États-Unis la guerre de Sécession. L'enthousiasme de Laboulaye, partisan des abolitionnistes, est à son comble.
Lors d'une soirée à laquelle est invité le jeune Bartholdi, il lance l'idée d'un monument qui scellerait l'amitié entre les peuples français et américain. Bien entendu, ce monument serait inauguré à l'occasion du centenaire de la Déclaration d'Indépendance, soit en 1876 !...
Suez avant New-York
En attendant, il faut composer avec un régime qui n'a pas de sympathie particulière pour la démocratie américaine.
Auguste Bartholdi, comme beaucoup d'artistes et d'intellectuels de son temps, cède à l'égyptomanie. Il visite les bords du Nil et rencontre Ferdinand de Lesseps, maître d'oeuvre du futur canal de Suez.
Il lui suggère d'ériger à l'entrée du canal une statue monumentale à l'image du colosse de Rhodes, mais qui serait, elle, conçue pour durer des siècles.
Son projet prend l'allure d'une paysanne égyptienne qui brandit une torche, avec une majesté toute antique. Malheureusement, il n'a pas l'heur de plaire au vice-roi d'Égypte Ismaïl Pacha et Bartholdi revient à Paris avec la maquette en terre cuite dans sa malle.
Arrive la guerre franco-prussienne. Patriote, le sculpteur de 36 ans sert comme chef d'escadron et aide de camp de Giuseppe Garibaldi dans l'armée des Vosges.
Tandis que la France est encore sous le coup de la défaite, Édouard Laboulaye, devenu député républicain, se montre plus que jamais convaincu de l'utilité du monument à la Liberté. Il suggère à son ami de se rendre aux États-Unis pour tâter le terrain.
Dès son arrivée dans la rade de New York, à l'automne 1871, Bartholdi repère l'emplacement idoine pour son futur monument, lequel serait inspiré de la paysanne à la torche qui devait ouvrir le canal de Suez.
C'est l'île de Bedloe, rebaptisée Liberty Island en 1956. Elle est visible de tous les arrivants et offre un point de vue à la fois sur le grand large et la cité.
Laboulaye et Bartholdi ont dans l'idée que le monument, d'un coût de 250.000 dollars (une somme colossale pour l'époque), soit financé par souscription, pour moitié par le peuple français et par le peuple américain, le premier se réservant la statue et le second le piédestal.
Bartholdi rencontre à cette fin le président Ulysses S. Grant, des sénateurs, des industriels et des journalistes. Mais ses interlocuteurs demeurent très réservés à l'égard du projet...
Tout comme d'ailleurs les élus et les notables français qui penchent majoritairement pour une restauration de la monarchie et en veulent surtout aux Américains d'avoir soutenu la Prusse dans la précédente guerre.
En attendant que la situation se débloque, Bartholdi s'attelle à une commande publique destinée à rappeler le siège héroïque de Belfort en 1870-1871. Ce sera le Lion de Belfort, une sculpture monumentale (on ne se refait pas) en granit des Vosges, adossée à la colline qui surplombe la ville.
Enfin, l'horizon se dégage : le régime politique bascule en janvier 1875 vers la République. Le projet de statue recueille désormais les faveurs de l'opinion mais le temps presse.
Course d'obstacles
Laboulaye, qui a de la suite dans les idées, fonde un Comité de l'union franco-américaine en vue de lever des fonds.
Charles Gounod compose pour les généreux donateurs, à l'Opéra de Paris, un Hymne à la Liberté éclairant le monde. On leur offre aussi deux cents modèles réduits de la future statue.
Auguste Bartholdi reçoit le concours d'une sommité du patrimoine en la personne d'Eugène Viollet-le-Duc.
Celui-ci prescrit une peau composée de plaques de cuivre modelées par martelage sur des formes en plâtre. L'ensemble doit être monté sur une armature métallique, stabilisée par un remplissage en sable.
La fabrication peut commencer dans les ateliers de la société Gaget, Gauthier et Cie, rue de Chazelles, au nord de Paris. Elle mobilisera jusqu'à six cents ouvriers.
Mais il est devenu illusoire d'inaugurer la statue pour le centenaire de l'indépendance américaine. À tout le moins, Laboulaye et Bartholdi veulent profiter de l'Exposition universelle de Philadelphie de 1876 pour sensibiliser l'opinion américaine à leur projet.
Ils accélèrent le montage du bras droit et de sa torche afin de pouvoir les présenter sur place ! La pièce arrivera après la célébration de l'Independence Day (4 juillet) mais elle n'en recueillera pas moins un très vif succès auprès du public.
Grâce à une première collecte de fonds, on met à l'étude le piédestal. Il est confié à un architecte de renom, Richard Morris Hunt, qui a déjà conçu le Metropolitan Museum de New York.
Comme les fonds manquent aussi pour la réalisation de la statue, Laboulaye présente une reproduction grandeur nature de la tête à l'Exposition universelle de Paris, en 1878.
Les visiteurs, impressionnés et séduits, souscrivent en masse et l'année suivante, le financement est bouclé avec plus de cent mille donateurs.
Mais un nouveau coup du sort frappe le projet : Viollet-le-Duc décède à 65 ans, emportant dans la tombe les principes de montage. Bartholdi se tourne alors vers Gustave Eiffel (47 ans), un ingénieur et chef d'entreprise qui est en train de se bâtir une réputation internationale grâce à sa maîtrise des structures en acier.
À l'opposé de Viollet-le-Duc, il conçoit une charpente métallique légère qui, tel le roseau de la fable, saura résister aux plus violentes tempêtes en pliant et en se déformant.
Dernier coup du sort : Laboulaye décède à son tour le 25 mai 1883. Bartholdi porte désormais le projet sur ses seules épaules. Il invite le populaire Ferdinand de Lesseps à remplacer Laboulaye à la présidence du comité et c'est lui qui va officiellement remettre à l'ambassadeur américain, le 4 juillet 1884, la statue enfin terminée.
Le peuple américain se mobilise à son tour
Outre-Atlantique, le projet se délite. Les riches New-Yorkais le dédaignent et le comité n'arrive pas à recueillir les fonds pour l'achèvement du piédestal.
Alors se lève un sauveur inattendu, Joseph Pulitzer.
Né en Hongrie en 1847, ce jeune immigré devenu le patron du New York World, a inventé la presse populaire à scandale. Il multiplie les campagnes de presse en faveur du projet. Auguste Bartholdi le soutient en proposant des statuettes à un ou cinq dollars.
C'est un succès. Les dons, généralement modestes, affluent.
Le financement est enfin bouclé avec cent mille dollars supplémentaires offerts par cent vingt mille donateurs dont les noms sont tous imprimés dans le journal.
Auguste Bartholdi n'a pas attendu la fin de la souscription pour envoyer la statue à New York. À raison de 350 pièces dans 214 caisses, elle est chargée sur une frégate armée par le gouvernement français, l'Isère, et arrive à New York le 17 juin 1886. Quatre mois suffiront pour monter les cent tonnes de la structure et les quatre-vingt de l'enveloppe de cuivre.
Un mythe américain
« La Liberté éclairant le monde » est chargée d'une symbolique simple et accessible à tous. La statue tient dans sa main gauche une tablette où l'on peut lire « July 4th, 1776 » (Déclaration d'indépendance des États-Unis). Sa torche levée vers le ciel dissipe les ténèbres. Les chaînes brisées, à ses pieds, rappellent l'abolition de l'esclavage.
Les sept rayons de sa couronne sont censés représenter les sept océans et continents de la Terre. La couronne, enfin, comporte 25 fenêtres qui figurent autant de joyaux et d'où les visiteurs peuvent contempler la baie de New York.
Pour le corps de sa statue, le sculpteur a pu choisir comme modèle Jeanne-Émilie Baheux de Puysieux, une ancienne couturière devenue sa maîtresse et qu'il a dû épouser en catastrophe en 1875, lors d'un voyage aux États-Unis, pour ne pas heurter ses donateurs potentiels.
Quant au visage, a-t-il les traits de la mère de l'artiste? d'une prostituée? d'une Communarde?... Peut-être après tout Bartholdi s'est-il contenté de reprendre les traits hiératiques, sévères et somme toute sereins d'une Athéna antique.
La statue, son visage, sa gestuelle, son drapé n'ont rien de sentimental ou d'érotique. Mais qu'importe. Inaugurée à la veille de la grande vague d'immigration qui a vu débarquer à New York des millions d'Européens chassés par l'oppression et la misère, elle est devenue le visage de l'Amérique rêvée et de la Liberté. C'est elle que les manifestants de la place Tien An Men, en 1989, ont reproduite en plâtre.
Laboulaye et Bartholdi imaginaient-ils que leur idéal ferait le tour du monde, de Paris à New York et Pékin ?
Un poème d'Emma LazarusDès 1883 a été gravé dans le piédestal de « La Liberté éclairant le monde » un sonnet de la poétesse Emma Lazarus (1849-1887).
Il s'adresse aux millions d'immigrants qui ont débarqué à Ellis Island et pour lesquels la statue de la Liberté figurait l'espoir d'une vie meilleure :
« Give me your tired, your poor,
Your huddled masses yearning to breathe free,
The wretched refuse of your teeming shore.
Send these, the homeless, tempest-tost, to me,
I lift my lamp beside the golden door !
Donne-moi tes pauvres, tes exténués
Qui en rangs pressés aspirent à vivre libres,
Le rebut de tes rivages surpeuplés,
Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête me les rapporte
De ma lumière, j'éclaire la porte d'or ! ».
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Par Frawsy le 27 Octobre 2016 à 13:28
27 octobre 1870
Bazaine capitule à Metz
Le 27 octobre 1870, le maréchal François Achille Bazaine capitule à Metz avec son armée d'environ 180 000 hommes.
Ultime espoir des FrançaisDéclenchée par l'imprudence de Napoléon III, la guerre entre la France et la Prusse avait conduit deux mois plus tôt à la capture de l'empereur, à Sedan. L'armée de Bazaine était le dernier espoir de la France bien qu'elle fût assiégée à Metz par les Prussiens et leurs alliés allemands, lesquels assiégaient aussi Paris.
Après la capture de l'empereur, les Français, sans cesser de se battre, avaient instauré une IIIe République et Léon Gambetta avait échappé en ballon au siège de la capitale pour lever en province de nouvelles armées. Ces armées de volontaires, mal équipées et inexpérimentées, avaient du moins l'avantage du nombre, aussi longtemps que le gros des troupes ennemies était fixé autour de Metz et de Paris.
Une défection au parfum de trahisonMais à Metz, le maréchal Bazaine refuse de se rallier au Gouvernement de la Défense nationale, par haine de la République.
Non content de demeurer inactif, voilà même qu'il entre en contact avec l'ex-impératrice Eugénie, par l'intermédiaire du général Bourbaki, peut-être dans l'espoir de restaurer l'Empire. Les négociations traînent en longueur. La disette s'installe dans la ville assiégée.
Bazaine considère l'avènement de la République comme un danger plus grand encore que la victoire ennemie et le démembrement prévisible du pays.
Il renonce en définitive à poursuivre le combat avec l'espoir d'obtenir de Bismarck le droit de se retirer au centre du pays et, une fois la paix revenue, « défendre l'ordre social contre les mauvaises passions ». La capitulation de Metz livre aux Allemands 3 maréchaux, 6 000 officiers et 173 000 soldats !
Chez les républicains, la reddition de Bazaine suscite la stupeur. Elle s'ajoute aux échecs du général Trochu dans ses tentatives de desserrer l'étau ennemi autour de la capitale. Elle réduit à néant la tentative de Léon Gambetta de résister à l'invasion. Ce dernier, qui tente d'organiser de nouvelles armées à partir de Tours, lance une proclamation où il accuse explicitement le maréchal Bazaine de trahison !
ÉpilogueBazaine, qui fut autrefois populaire en raison de ses états de service au Mexique, passe trois ans plus tard en Conseil de guerre. Condamné à mort, il est grâcié par le maréchal-président Mac-Mahon (celui qui a été battu à Sedan).
Bénéficiant d'obscures complicités, il trouvera en définitive le moyen de s'enfuir à l'étranger. Il mourra à Madrid en 1888 des suites d'un attentat commis par un individu venu de France.
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