Hier, j’ai revu cette plume d’ange
que j’aperçus étant enfant
Elle volait au-dessus de l’étang
en compagnie d’une mésange
Mésange bleue comme la robe
dans laquelle est morte maman…
Elle a vécu une vie sobre
avec très peu de sentiments
La religion et ses limites
pour vivre une vie bien confite
en dévotions et en pardons
Le regard tourné vers le ciel
ou confiné dans son missel
Les plumes, seules, pour l’oreiller
mais pour écrire, c’est péché
d’exprimer ses pensées secrètes
Surtout si elles sont impures
C’est le diable qui les sécrète
et il faut s’en débarrasser
en allant souvent à confesse
et tous les dimanches à la messe…
C’est ce que me disait ma mère
ainsi que le bon curé hypocrite
qu’on appelait parfois « Monseigneur «
Il nous enseignait tous les mythes
de sa religion catholique
Il levait sa dextre pour bénir
mais elle allait aussi s’enfouir
sous les frais jupons de sa sœur…
Révérend Bénédicto Rousseau
enfant de dieu, fils de salaud
qui fit de moi un agnostique
malgré les quelques coups de trique
qu’il m’infligeait de temps en temps
en me traitant de mécréant…
Il me promettait les flammes de l’enfer
mais, moi, j’étais très bien sur terre
avec Isabelle et Marion
qui soulevaient, pour moi, leurs jupons
quand on se trouvait dans les champs
et plus souvent derrière la meule
On se couchait aussi dans le foin
Ces drôlesses n’étaient pas bégueules
et elles avaient de jolis seins
que j’adorais un peu pétrir
comme on fait avec le bon pain
plutôt que lire la vie des saints…
L’odeur du foin dans ma mémoire
et cette plume que je revois ce soir
ravivent de bien beaux souvenirs
Celui de ce 8 juillet 1959
où l’amour pour moi était neuf
et ne devait jamais mourir…
En plus des sifflets en sureau
les taches d’encre sur mon sarrau
demeure ce capteur de rêves
que me rapporta tante Jeanne
Et dès que le jour se lève
je me sens devenir Peau d’âne
parmi les contes d’autrefois
Je compte la récolte sur mes doigts
J’engrange les plus doux pour la route
afin de les faire venir à mes lèvres
comme un subtil goutte à goutte
qui calme peu à peu ma fièvre
celle qui surgit à l’improviste
quand je me sens en bout de piste…
Je rêve d’un ange incarné
d’une femme d’une telle beauté
que dès que je l’aperçois
mon cœur est de suite aux abois…
Plume d’ange qui revient le soir
avec leurs sourires dans mon miroir
que le temps n’a pas effacés
Bien sûr, elles m’imposèrent leur loi
avec leurs armes féminines
mais tous les hommes sont comme moi
à la merci d’un beau minois
et de leurs corps si désirables…
On ne fait pas l’ange, mais la bête
On est toujours dans la disette
parfois proche de la famine
chevalier servant à la triste mine
d’un passé à jamais révolu…
On se rapproche de l’océan
pour voir les blanches caravelles
dont on rêvait étant enfant
L’amour, aussi, s’est fait la belle
Pourtant, on n’a pas fait naufrage
on garde, en soi, la plume d’ange
A chaque jour suffit sa page…
Et même si le temps nous mange
subsiste en nous le dur désir
de comprendre, d’aimer, d’écrire
jusqu’au dernier moment de vie
sans espérer le paradis…
Seul, le présent est éternel
et la plume est toujours, là, dans mon ciel…
( Texte écrit le 20 mai 2014 dans l’atelier d’écriture
d’Hervé Le Corre, dont le dernier roman « Après la guerre «
a reçu le prix « Le Point « du polar européen 2014 )
Alain Biaux